LUDOVIC FLORIN –  « KEITH JARRETT »

Lors d’une année que l’on aurait préféré mettre entre parenthèses – tant elle fut marquée par la disparition de très importants musiciens du XXème et XXI siècle -, si l’on devait retenir un artiste, il est indéniable que 2023 fut « une année Jarrett ». Par la publication de deux magnifiques enregistrements – dont le concert joué en 2016 à Bordeaux et la réédition du merveilleux double album Solo-Concerts Bremen Lausanne (50 ans après sa première édition) -, et, cerise sur le gâteau, la publication de l’excellent ouvrage disco-biographique que lui consacre le musicologue français.

PAR FRANCISCO CRUZ

JARRETT EN GRAND FORMAT

Présentation impeccable, en grand format et dotée d’une iconographie choisie (superbe photo de Wolfgang Frankenstein en couverture), nourrie d’une écriture précise et propice à la lecture, très bien documenté dans des sources multiples et mille fois réfléchies, c’est un ouvrage à la hauteur du sujet : la vie musicale du fascinant pianiste de musiques improvisées du XXème-XXIè siècle. 

Par un intelligent jeu d’équilibriste, l’auteur reste dans son rôle, loin de la passion du biographe et de la critique dithyrambique des puristes, tantôt analyste musical, tantôt journaliste exigeant. Devant la complexité et l’envergure du sujet, Florin choisit judicieusement une distribution simple de l’analyse, sous-divisant l’ouvrage par des thèmes qui esquivent élégamment les pièges de la chronologie mécanique. Comme dans une composition aléatoire, apparait Jarrett en solitaire, Jarrett en quartette (américain et européen ), Jarrett dans ses expériences avec la musique classique et contemporaine, Jarrett avec son Standard Trio.

Ainsi, le lecteur peut lui-aussi avancer, approfondir le sujet et peaufiner sa connaissance du musicien, en lisant en travers, en réalisant des allers-retours, en progressant en spirale. Ou bien, simplement, faire une lecture discographique de l’évolution pluri-musicale du génial pianiste (qui, ici et là, s’est aussi improvisé en poly-instrumentiste). D’une façon ou d’une autre, le lecteur découvrira ou remettra en exergue des albums inconnus ou oubliés, comprendra mieux les cheminements et les choix de l’artiste entre les différents genres et formes, contextes et formats. Et l’ouvrage restera une source toujours d’actualité pour accompagner l’audition de la fastueuse discographie du musicien.

On peut ne pas être toujours d’accord avec certains jugements de l’auteur, regretter son ironie subtile au sujet des aspects spirituels inscrits dans la musique, mais aussi féliciter son rejet de la critique gratuite. Mais cela reste sans importance réelle face à la richesse de cet ouvrage.

LUDOVIC FLORIN

Keith Jarrett

Editions du Layeur. 400 pages – 45 €