PAOLO FRESU – « TANGO MACONDO », « THE SUN ON THE SEA », « FERLINGHETTI », « FOOD »

Le trompettiste sarde fut l’un des musiciens les plus en vue sur la scène française du jazz, mais aussi italienne et européenne, vingt ans durant. Depuis le scandale pandémique, sa présence de ce côté des Alpes est devenue rarissime, ses albums (sans distribution) physiquement introuvables et, pourtant, il continue à se produire partout ailleurs en Europe. Quatre albums témoignent de la beauté sonique et de son élégante interprétation dans un processus de créativité incessant. Retour prévu à Paris avec trois formations pour une triple séance en mai, puis pour les festivals d’été en France. 

PAR FRANCISCO CRUZ                                                                                        PHOTO ROBERTO CIFARELLI

TANGO SARDE SUR MER DE JAZZ

Comme une célébration à la fin des confinements abusifs, la pensée esthétique du trompettiste a pris la direction du continent sud-américain. Avec la complicité et les suggestions pertinentes du bandonéoniste Daniele di Bonaventura, fin connaisseur du répertoire de ce coté du monde. Centré sur le tango, l’album Tango Macondo (2021) réunit la magie littéraire de l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez (Macondo est le village réel-merveilleux de son célèbre romain Cent Ans De Solitude) avec la musique la plus populaire et identitaire de l’Argentine (espace de la majeure migration italienne en Amérique latine). On y retrouve les centenaires « Volver » et « El Dia Que Me Quieras » (de Carlos Gardel et Alfredo Le Pera), ainsi que la pièce plus moderne « Alguien Le Dice Al Tango » (composée par Astor Piazzolla, en collaboration avec l’écrivain Jorge Luis Borges). Fresu laisse son imagination s’émerveiller des paysages luxuriants de Macondo, tandis que le bandonéon de Bonaventura renvoie aux quartiers chauds d’un Buenos Aires disparu. Suivant la trace laissé par des anciennes chansons populaires portées par les migrants italiens vers le sud américain. Le duo invite l’organiste Pierpaolo Vacca ainsi que les chanteuses Elisa, Tosca et Malika Ayane, s’inspirant d’une pièce de théâtre écrite par Salvatore Niffoi, Aux Confins Du Délire Et De La Géographie, et en s’autorisant à jouer aussi du piano sur certains titres.

Par la suite, le tandem Fresu-Bonaventura invitait le violoncelliste Jaques Morelenbaum à enregistrer The Sun On The Sea (2021), et à réaliser un voyage éclaté sur divers territoires musicaux sud-américains. Notamment le Brésil de la bossa nova, espace de composition d’Antonio Carlos Jobim, Vinicius de Moraes et Baden Powell, récréant « Samba em Preludio » et « O Que Tinha de Ser », ainsi que le romantisme mexicain d’Armando Manzanero (« El Ciego »), le Chili autrefois engagé de Victor Jara (« Te Recuerdo Amanda ») ou le pop-rock de l’argentin Fito Paez (« Un Vestido Y Un Amor »). Une reprise du célèbre chanteur italien Fabrizio De André (« Preghiera In Gennaio), ainsi que des compositions originelles du trio alternent et complètent le programme, dans cette période de confiscation des libertés où « Ar Livre » de Morelenbaum sonne comme une déclaration des droits dans un espace humain irréductible. C’est probablement aussi l’album où la connexion musicale entre Fresu et le violoncelliste brésilien se révèle la plus fructueuse.

S’ensuit un bond vers le nord américain, sorte de retour aux inspirations picturales et poétiques profondes qui marquent le début du parcours esthétique du trompettiste. Notamment celles de Lawrence Ferilnghetti, activiste social à San Francisco, poète  et éditeur de la Beat Génération, artiste qui donne le titre à un album issu de la bande originale du film documentaire The Last Beat, du réalisateur Ferdinando Vicentini. Ferlinghetti réunit le duo Fresu-Bonaventura avec le pianiste Dino Rubino et le contrebassiste Marco Berdoccia, dans un format sans percussion dont le musicien sarde s’est pris d’affection. C’est dans cette ligne poético-jazzistique que le discours musical de Fresu atteint son plus haut niveau expressif depuis l’enfermement et la privation de concerts dont les musiciens furent les principales victimes. Dans un esprit équitable, le quartet redessine  le champ de jeu et redistribue l’espace de composition de  chacun. Fresu apporte six morceaux et ses comparses signent les sept autres plages. On pourrait y déceler un chant libertaire (dans le sens primordial du jazz) dont Ferlinghetti serait un fan absolu.

Enfin, l’an dernier, quand les masques débordaient des poubelles du monde, Fresu retrouvait son vieil associé cubain Omar Sosa, pour achever leur triptyque discographique avec l’album Food. Manger en compagnie des amis chers, était aussi un plaisir à renouveler après tant de séparations forcées. Surtout si les mets musicaux sont de première qualité. En mai 2022, Fresu et Sosa se retrouvaient donc en Italie pour enregistrer. Ils invitèrent le rappeur Kokayi qui enregistra à Washington en juin, le vibraphoniste Andy Narell qui fit de même en juillet en France, puis Jaques Morelenbaum entra en studio en octobre avec son violoncelle, à Rio de Janeiro. Tandis que Cristiano De André et Indwe ajoutèrent leurs voix en Sardaigne et à Johannesburg. Le résultat : une sorte de festin chromatique aux saveurs contrastés, épicés et sucrés. Très concentré harmoniquement ou bien aux mélodies liquides, les morceaux se succèdent en douce cadence, parfois joyeux et légers, tantôt méditatifs et songeurs. Comme l’expression d’un besoin de paix après tant d’indigestion médiatique autour des mensonges sanitaires et politiques. 

Nous avons besoin de nous nourrir, l’esprit autant que le corps, d’art et de musique.

Bonne dégustation !

 

PAOLO FRESU

Tango Macondo 

 

 

 

 

 

 

The Sun On The Sea 

 

 

 

 

 

Ferlinghetti 

 

 

 

 

 

 

Food 

(Tuk Music)

 

 

 

 

 

en concert

LE 9, 10 ET 11 MAI À PARIS (SUNSIDE)