CAROLINA KATUN

«J’INVITE LES GENS A ECOUTER DAVANTAGE LEURS PROPRES INTUITIONS, A SE RECONNECTER AVEC LEUR VOIX INTERIEURE. POUR SE LIBERER DE LA PEUR »

Quatre ans après nous avoir surpris avec un premier album de reprises latines fondamentales, la chanteuse suissesse d’origine mexicaine confirme toutes les promesses entrevues, offrant un très bel album de musiques originales. Entre tradition latino-américaine et jazz, les bifurcations et déambulations de Ritmos De Tu Ser relient poésie libératrice et recherche du son sans artifices. A découvrir sans tarder.

PAR FRANCISCO CRUZ

VERS UNE PULSATION ESSENTIELLE

En 2018, vous présentiez au New Morning votre disque Al Silencio, reprenant des morceaux célèbres, entourée d’un groupe de musiciens parisiens, plus le claviériste norvégien Bugge Wesseltoft. Récemment, vous avez dévoilé Ritmos De Tu Ser (au Bal Blomet) avec un nouvel ensemble, jouant un répertoire original. Par delà le son, la musique, ressentiez-vous la nécessité d’exprimer des sentiments plus personnels et des idées surgies ou mûries dans ces dernières années ?    

Oui, c’est évident. L’expérience du premier album a été pour moi comme l’expression d’un premier souffle musical, le résultat de belles rencontres, la concrétisation de belles opportunités. Pour Ritmos De Tu Ser, j’ai voulu faire quelque chose de plus personnelle, m’inspirant de thématiques très importantes pour moi : l’acceptation de la diversité de genre, la conscience des problèmes écologiques, l’importance d’écouter nos intuitions…  Il était vraiment nécessaire pour moi de faire un voyage plus introspectif. Puis, il faut bien reconnaître que (toute cette période de covid) nous a permis de nous questionner davantage sur les choses « essentielles » de la vie.

Alors que nous espérions vous rencontrer à Paris, on découvre que vous habitez maintenant en Suisse. Cela est-il en rapport avec des transformations plus profondes en votre vie ? La scène helvétique vous a-t-elle découvert ou bien ouvert des nouvelles perspectives artistiques ?

 Effectivement, après avoir vécu six ans à Paris, j’ai décidé de revenir vers une partie de mes racines, la Suisse où je suis née. C’est surement du à une volonté de me rapprocher des montagnes, des lacs, d’un rythme de vie plus organique, moins frénétique et plus simple que la vie parisienne… 

La scène helvétique m’a offert un bel accueil, appuyant mes projets et me donnant l’opportunité de jouer beaucoup de concerts. On m’a demandée d’être la marraine d’un nouveau festival qui aura lieu en juillet 2023. Désormais, je mets en place de nouveaux projets avec des musiciens suisses. 

Vos références, votre mémoire ancrée en Amérique Latine, et spécialement dans la musique mexicaine, a été un principe fondamental depuis le début de votre vie artistique, ou est-ce le fruit d’un rapprochement progressif durant les dernières années ? 

En réalité, depuis mon enfance j’ai toujours écouté de la musique mexicaine. Autant à la maison, avec mes parents, que lors des visites à la famille mexicaine. Des chansons de Chavela Vargas à la musique des mariachis, j’ai toujours été entourée par ces musiques… Ensuite, j’ai étudié le jazz et la musique classique. Quand j’ai formé mon groupe et commencé à chanter des chansons en espagnol, interpréter des chansons mexicaines a été comme une évidence : elles me venaient naturellement et me faisaient vibrer.  

Quels sont les artistes mexicains et latinos, du passé et contemporains, qui ont marqué votre musique, votre pensée artistique ?

Certainement Mercedes Sosa, Simón Díaz, Chavela Vargas, Atahualpa Yupanqui… Parmi les plus contemporains : Lila Down, Silvia Perez Cruz, et beaucoup d’autres… 

Entre musique latine et jazz, vous « définissez » votre musique en dehors des genres et des styles. Comment s’est-il produit votre découverte du monde du jazz ? 

J’ai découvert le jazz très jeune en écoutant Ella Fitzgerald et Louis Amstrong avec mes grands-parents suisses. Ensuite, j’ai eu la possibilité d’étudier le jazz au conservatoire. Il y a tellement de musiciens incroyables : Bugge Wesseltoft, Arve Henriksen et Nils Petter Molvaer m’ont beaucoup émue. Aussi Brad Mehldau, Tigran Hamasyan… Puis, Joni Mitchel, Dick Annegarn, Milton Nascimento, André Minvielle… 

Dans votre nouvel album, hormis vos chansons personnelles, vous interprétez des poésies écrites par d’autres. Pouvez-vous nous parler de Khadidja Benouataf, et de l’impact de son écriture dans votre musique ?

Khadidja Benouataf est une personnalité très intéressante que j’admire beaucoup. Journaliste à l’origine, écrivaine, elle est une pionnière du mouvement nommé « Impact France » consacré a réunir le talent de cinéastes et créateurs, avec l’énergie des principaux agents du changement, autour des problématiques sociales et environnementales urgentes, afin de mettre en place des nouvelles coalitions et pouvoir avancer vers des changements de vie… Khadidja a le talent de transcrire ce que je ressens profondément. Nous vivons une période très spéciale…

Dans vos compositions personnelles, vous évoquez l’urgence écologique. Une thématique qui vous inspire particulièrement et qui est en rapport avec des changements plus ou moins radicaux des formes de vie dans une société saine à recréer ?

L’urgence écologique est un thème vraiment très important pour moi. Nous avons vécu déconnectés de la nature, privés du contact avec les animaux, avec les arbres, avec l’eau… Il s’agit de recommencer à sentir les rythmes de la nature. J’essaie de partager ce sentiment à travers ma musique… 

Depuis deux ans, nous vivons une situation planétaire inédite et dangereuse : confinements, privation de libertés fondamentales, silence imposé, vaccins obligatoires, menaces génétiques, surveillance et contrôle démesurés de toutes les dimensions de la vie… Comment cette nouvelle réalité et la mise en place d’un nouvel « ordre mondial »  vous affectent-ils en tant que femme artiste ?

Je pense que des minorités ont toujours dirigé les sociétés en privant de liberté les autres.. La différence est plutôt dans le comment se manifeste cet abus… Cette situation s’est énormément aggravée ces derniers temps. J’ai l’impression que les gouvernants utilisent pour cela toutes les avancées technologiques et créent la confusion entre commodité et nécessité. Souvent, presque inconsciemment, nous participons à l’acceptation de cette situation, à travers l’utilisation des appareils dotés d’intelligence artificielle… 

Je m’interroge beaucoup aussi à propos du pouvoir de la peur sur les peuples. La peur peut changer les gens de façon insensée, on l’a beaucoup utilisée pour nous manipuler… Personnellement, mon retour en Suisse est aussi une conséquence de cette nouvelle situation. Désormais, la politique suisse ne permet pas autant de privations de liberté qu’en France. Ma chanson « Quien Sabe » est ma réponse à cette situation inédite. J’y invite les gens à écouter davantage leurs propres intuitions, a se reconnecter avec leur voix intérieure. Pour diminuer l’influence négative et se préserver de tout ce qui nous entoure et nous empêche de vivre. Pour se libérer de la peur.

« Qui sait, qui sait / Quand le dernier arbre puisera de l’eau / Qui sait, qui sait / Quand l’amour aura plus d’importance que le pouvoir ? »

La chanson «Ritmos De Tu ser » s’inspire d’un poème de Pablo Neruda. Ce poète chilien, mort (probablement assassiné par les médecins dans un hôpital de Santiago) trois jours après le coup d’Etat qui initia une dictature militaire de 17 ans, est-il une influence pour vous, par la richesse de sa seule poésie ou par la valeur symbolique de son combat pour la défense de la liberté humaine ?

Les œuvres d’art qui ont été des expressions de la défense de la justice et de la liberté, m’ont toujours impressionnée et mobilisée… Car elles prennent une dimension très puissante, indépendamment des contingences de la histoire.

CAROLINA KATUN

Ritmos De Tu Ser

(Jazzland)

Carolina Katún : chant , Pierre Perchaud : guitares, Laura Caronni : Violoncelle & chant,  Arthur Alard : batterie

 

 

concerts :  04.06.2023 / FESTIVAL DE MUSIQUES METISSES / ANGOULEME; LE 1ER AOUT / LES INEDITS DE L’ETE / GRADIGNAN.