THRILLER 40

‪L’histoire d’un album qui a changé la donne dans le monde de la musique. Quarante ans après sa parution, le documentaire réalisé par Nelson George, critique et journaliste spécialiste de la musique afro-américaine, revient sur le making of de Thriller, ce disque-phénomène qui, porté par un artiste unique, transfigure le monde du spectacle, alliant pour la première fois à ce degré d’excellence, l’art du chant, de la danse, de la production sonore audiovisuelle dans une suite de performances sidérantes. 

PAR ROMAIN GROSMAN

LA FABRIQUE D’UNE MASTER PIECE

 

Off The Wall, en 1979, avec son cocktail funk-disco-pop sexy scintillant, avait déjà posé une première pierre dans ce chemin pavé de gloire qui s’illuminera sous les pas du jeune Michael Jackson trois ans plus tard (24 ans au moment de la sortie de Thriller), émancipé de ses frères et de la figure tutélaire d’un père omniprésent. Off The Wall, première collaboration du chanteur avec le producteur Quincy Jones – venu du jazz, trompettiste, arrangeur de génie pour les plus grands orchestres, pour le cinéma -, garde d’ailleurs une cote souvent supérieure à celle de Thriller vhez tous ceux qui suivaient l’évolution du jeune prodige, né sous la bannière Motown à ses débuts. « Don’t Stop Till You Get Enough », « Rock With You », « Working Day And Night », irrésistibles sur le plan rythmique, servis par des musiciens de premier plan (les Brothers Johnson, Greg Phillinganes, George Duke, Larry Carlton…), gardent une fraicheur et une innocence que l’on ne trouve peut-être plus dans Thriller, trois ans plus tard (1982).

Mais Thriller pousse tous les curseurs de la performance au maximum. Au niveau sonore d’abord, car Mister Q incorpore les synthés dans la salle des machines avec l’appui de son partenaire et maître du son Bruce Swedien. Sa garde favorite est à nouveau rassemblée (Gres Phillinganes aux claviers, les frères Johnson), auxquels sont adjoints Steve Lukather, Jeff Porcaro, Eddie Van Halen, en guests-dynamiteurs et surtout cruciaux au moment de faire entrer le son funk de MJ sans une dimension plus rock et donc plus crossover. Car tel est bien l’objectif avoué du chanteur, ambitieux, qui ne masque pas ses objectifs : faire de cette session une borne dans l’histoire. Thriller sera l’album le plus vendu de l’histoire (32 millions la première année, plus de 70 millions à ce jour), récompensé de 8 Grammy. Surtout, il sera le premier à transgresser les clivages historiques qui jusque-là renvoyaient les artistes afro-américains dans la catégorie r’n’b, jamais dans celle de l’album de l’année tout court et toutes catégories confondues.

Le documentaire passe au crible toutes les novations imbriquées, catalysées dans la réussite de Thriller. Et surtout la dimension multi média ici à l’œuvre, parce que MJ, enfant de la balle, est plus qu’un enfant de la balle. Passionné par son art, il s’est ouvert à l’histoire de la musique (son rapprochement avec Quincy Jones n’est pas un hasard), du cinéma (John Landis, Steven Spielberg), de la comédie musicale (il cite Fred Astaire et les Nicolas Brothers parmi ses influences majeures), de la danse (les mêmes, plus James Brown et les premiers street dancers du hip hop naissant) en passant par le mime Marceau. En plein lancement, il ne se satisfait pas du succès des premiers singles et se lance dans la fabrication de clips conçus comme de vrais mini films. Les clips de « Billile Jean », « Beat It » et surtout « Thriller » sont autant d’événements retentissants dans le music business au point que MTV, la chaîne musicale incontournable qui refuse alors d’ouvrir son antenne aux artistes noirs, ne peut plus ignorer le génie d’un Michael Jackson, devenu icône de la jeunesse du monde globalisé, du Japon à l’Europe, en passant par tous les continents.

Pour parachever son œuvre, sa prestation lors de la soirée « Motown 25 » (et la séquence du moonwalk) électrise la planète. MJ est un formidable chanteur (on ne souligne pas assez l’extrême sensibilité de ses interprétations, dans les balades comme dans les bombes rythmiques) , un danseur incomparable qui vit la musique et le rythme jusqu’à la pointe des pieds, un performer unique, né sur une scène.

Toutes les documents d’archive sont ici convoqués, montés judicieusement, pour retisser méthodiquement le fil de ces mois qui changèrent la face du monde de la musique.

Reste – si l’on pense au génial et référentiel documentaire The Last Dance, consacré à un autre MJ (le basketteur MichaelJordan) -, l’impression de suivre un travail rétrospectif, pédagogique, grand public, mais un peu linéaire… Qui interroge Mary J Blige, Mark Ronson, mais oublie de souligner le talent du trop méconnu Rod Temperton (ex-membre du groupe Heatwave, auteur de nombreux hits pour quantité d’artistes, dont « Thriller » pour MJ – il faut absolument voir sur youtube le documentaire qui lui est consacré : Rod Temperton, The Invisible Man, pour saisir la dimension de ce personnage attachant et… détaché de toute course à la gloire), et qui surtout, pèche par l’absence du principal témoin-acteur de cet album : Quincy Jones lui-même, pour apporter un éclairage crucial sur la matière première de toute cette aventure, LA MUSIQUE.

Thriller 40

Realisation Nelson George, 1h

Paramount +