DAVID SANBORN – DISPARITION

Le saxophoniste s’est éteint le 12 mai dernier, à l’âge de 78 ans. Figure du jazz fusion, invité de grandes stars mondiales lors de ces années où la liste des musiciens conviés à ajouter leur signature sur un enregistrement comptait vraiment, David Sanborn c’était un son. Soulful, sexy et incarné. Même dans des contextes moins exigeants, plus funky, le saxophoniste faisait la différence.

 PAR ROMAIN GROSMAN

Grover Washington a aussi eu droit à cette forme de mépris : « artiste mineur au service d’une esthétique futile, d’un jazz d’ascenseur, d’un smooth jazz, héro du sax FM… » La condescendance de la critique (notamment) française à l’endroit des musiciens de jazz populaires n’a toujours eu d’égal qu’une forme d’inculture profonde. Pareil pour le regretté Joe Sample (en solo ou avec les Crusaders), pour Donald Byrd, pour Roy Ayers, pour Al Jarreau, pour George Benson, voire même, pendant longtemps, pour le grand Ahmad Jamal. 

Lorsqu’on rencontrait leurs pairs, le discours était pourtant tout autre, empreint de respect et d’une sincère admiration. Sanborn embellissait des mélodies peut-être faciles, immédiates. Il n’était pas un de ces monstres sacrés du jazz qui ont révolutionné leur art – auxquels il vouait une admiration profonde -, mais un vrai amoureux de musique.

Le natif de Tampa, en Floride, touché enfant par la poliomyélite, choisit le saxophone sur le conseil d’un médecin, pour renforcer sa capacité pulmonaire. Ado, il joue avec les bluesmen Albert King et Little Milton, avant d’intégrer la formation de Paul Butterfield (Woodstock, en 1969). Cet ancrage dans le blues – il cite parmi ses influences déterminantes, Hank Crawford, le saxophoniste de Ray Charles – lui permet d’ajouter à une technique impeccable, un son immédiatement reconnaissable, chaleureux, enveloppant. Et une sensibilité rare pour lier un style mélodique délié, à un sens du groove fluide.

Dans les années 70, ses qualités (phrasé, son, lyrisme, élégance) en font un des session men les plus demandés : il enregistre avec Stevie Wonder (Talking Book), apparaît aux côtés des Rolling Stones, de David Bowie, des Eagles, de Sting, de Roger Daltrey, de Billy Joel…  

Takin Off (en 1975), Hideaway (en 1979), ses premiers albums (avec Hiram Bullock, Don Grolnick, Marcus Miller…), puis Voyeur (en 1981), Straight To The Heart (en 1984), l’installe au rang des artistes de jazz les plus en vue dans un style fusion r’n’b qui triomphe au sommet des charts, aux Grammy Awards (il en empochera 6), et qui lui permet de remplir (notamment) Bercy (avec Al Jarreau, en 1987). Il est aussi membre du Saturday Night Live Band.

On reproche à ce jazz là, tant décrié par la critique, d’être léger, de faire danser. Un demi-siècle plus tard, on mesure la chance qui fut la nôtre d’avoir vécu cette époque où le jazz, dans son expression la plus accessible était la pop (au sens musique populaire) de son temps. Ce qui n’empêchait pas (voire renforçait) l’admiration des auditeurs pour les talents investis au même moment dans des formes plus aventureuses, plus inventives.