YOUN SUN NAH – « ELLES »

Il y a 20 ans, nous suivions avec plaisir ses concerts – en France et ailleurs -, comme des promesses sonores d’un avenir joyeux. Jouant les oracles improvisés, nous avancions vers des jours lumineux autour de la chanteuse coréenne qui avait éclot près de chez nous, à Paris. Le succès et la progression artistique de Youn Sun Nah ont confirmé – et dépassé – toutes nos intuitions. Au sommet de son devenir musical, elle vient d’enregistrer Elles, qui sonne comme un hommage aux chanteuses qui l’ont inspirée, au temps de l’adolescence, et après… 

PAR FRANCISCO CRUZ                                                                                            PHOTO SEUNG YULL NAH

LES CHANSONS D’UNE VIE

Les femmes ont toujours été les piliers de la survie humaine, dans les moments les plus algides de l’histoire. Tandis que les hommes ont dirigé la destinée de l’humanité jusqu’aux limites de son autodestruction, dans un processus de patriarcat criminel. Dans l’industrie musicale, les hommes se sont souvent appropriée le pouvoir, avec des conséquences parfois très négatives pour les musiciennes. Celles que nous connaissons et célébrons ont atteint le succès à force de grands efforts et, souvent au prix de beaucoup de souffrances. Le changement est lent, mais il s’accélère en ce nouveau millénium.

Youn Sun Nah, coréenne à Paris à la fin du siècle dernier n’a pas eu un parcours facile et son ascension artistique est le couronnement de longues années de travail et de persévérance. Durant longtemps, elle a interprété un répertoire écrit par des hommes, avant d’oser interpréter ses propres compositions. Elle a donné une nouvelle vie à des musiques d’origines diverses, signées Jimi Hendrix, Metallica, Marvin Gaye, Tom Waits, mais aussi Egberto Gismonti ou des Pink Floyd. « La plupart des chansons que j’ai enregistrées au fil des ans étaient le fait de chanteurs masculins », dit Youn Sun Nah. « Cette fois-ci, je voulais honorer les chanteuses que j’admire depuis longtemps, les textes et les voix qui me touchent profondément ».

Dans une ambiance musicale (et sociale) marquée par un nouvel éveil de la sororité, Youn Sun Nah présente donc Elles, un album qui fait la part belle à des thèmes autrefois interprétés par des femmes qui ont été ses plus importantes sources d’inspiration. Pour commencer, elle y associe sa voix remarquable et sa singulière perspective musicale au « Feeling Good » de Nina Simone (1965). « J’ai entendu sa version quand j’étais au lycée », se souvient Youn Sun Nah. « Puis, à partir du moment où j’ai décidé de me consacrer au jazz, j’ai écouté sa musique tout le temps.  Nina Simone est comme une chamane. Elle n’est pas seulement une chanteuse, elle est la musique elle-même. »

Elles (l’album) explore un large éventail de chansons écrites ou interprétées par des femmes artistes notoires : du spiritual « Sometimes I Feel Like A Motherless Child » (dont Mahalia Jackson signa une version mémorable) au rock psychédélique  de « White Rabbit » (chantée par Grace Slick du groupe Jefferson Airplane), en passant par les classiques « My Funny Valentine » et « Killing Me Softly With His Song » (que Youn Sun interprète seule avec une music box, version moderne du kalimba). On y retrouve aussi « La Foule » rendue inoubliable par Edith Piaf. le frémissant « Cocoon » de Bjork, ainsi que « Coisas da Terra » que l’on connaissait dans la voix magnifique de Maria Joao.

On est cependant loin de toute projection exclusivement « féministe ». Il y a des pièces composées par des hommes, notamment la reprise du célèbre « Libertango » d’Astor Piazzolla, sous le titre « I’ve Seen That Face Before » (chantée par Grace Jones en 1981, sur son album Nightclubbing). Piazzolla est un compositeur apprécié par les musiciennes (on se souvient des interprétations de Regina Carter ou de Louise Jallu) et l’arrangement de ce « tango nuevo » est un bel exemple de la liberté formelle adoptée par Youn Sun Nah dans ce nouvel album. Enregistré l’année dernière à New York en duo avec le pianiste Jon Cowherd (Brian Blade Fellowship, Cassandra Wilson,
Lizz Wright) et le producteur/musicien Tomek Miernowski,

YOUN SUN NAH
Elles

(Warner)