Au rythme d’un roman annuel publié (en France), l’écrivain norvégien se situe au sommet de la littérature scandinave par delà les frontières culturelles et géographiques. Défricheur des zones les plus sombres de l’humanité, son écriture s’avance très loin sur le terrain mouvant de l’horreur dont l’homme est capable dans l’accomplissement de ses dessins les plus abjects. Au passage, se glisse une critique sévère de la corruption des démocraties occidentales fondées sur la cupidité et l’hypocrisie des dirigeants.
PAR FRANCISCO CRUZ
LA PARASITOLOGIE AU SERVICE DU CRIME
Comme la plupart des grands écrivains de la littérature« policière », Nesbo met en scène un policier iconoclaste, qui agit selon des codes personnels à contrario des conventions, et s’échappe des servitudes aux pouvoirs politiques et financiers. C’est après un exil aux Etats-Unis et un descente aux enfers alcoolisée, que Harry Hole, le personnage principal de son théâtre criminel, revient ici pour sa treizième mise en scène.
Où son nouvel opéra rock de l’horreur. Car, musicien à d’autres moments de sa vie, Nesbo contre ponctue son écriture, enrichissant le rythme d’évolution de la trame narrative, par des citations et par des références à divers musiciens de rock qui ont marqué la fin du siècle dernier. L’un des personnages déclare que «le batteur le plus sous-coté est …Ringo Starr des Beatles, le plus surfait est Keith Moon des Who, et le meilleur John Bonham de Led Zeppelin». Un deuxième ajoute ailleurs que « Stayin Alive » des Bee Gees n’est pas mieux que « Trans-Europe Express » de Krafrwerk !» …Quelques pages plus loin, d’autres écoutent « Dreams » de Fleetwood Mac et…ils se lèvent lorsque passa « Good Save the Queen » des Sex Pistols. «Un peu de respect pour Keith Richards! – réclame un dernier:.. Pour un héroinomane alcoolique, la survie dépend de consommer uniquement les produits les meilleurs et les plus purs» .
L’enquete avance en spirale, avec des intervalles plus ou moins significatifs selon les connaissances musicales des lec(trices)teurs. Le déroulement des événements et la progression de l’intrigue elle-même ont lieu sur un rythme intense et soutenu, sans temps morts; tandis que les nombreuses fausses hypothèses jouent comme autant de silences qui augmentent la tension et renforcent l’attention des lecteur(trices). Lesquels, se trompent à chaque fois qu’ils osent avancer plus vite que le narrateur dans la solution des énigmes.
L’éclipse totale n’est pas seulement due à la position de la lune face au soleil, mais du constat que les civilisations ont atteint ici bas un niveau de saturation inextricable et que la société humaine erre dans une quasi absolue absence de valeurs. Rien de nouveau au sens strict. Mais davantage d’obscurité dans la dégradation du monde sous nos yeux.
Autrement, perméable aux derniers événements concernant les dérives liberticides planétaires et l’utilisation des avancées de la génétique, de la nano technologie et de l’électronique numérique, le discours de l’écrivain nordique introduit les recherches sur la parasitologie comme élément principal de la criminologie actuelle et future. Un sujet extrêmement inquiétant depuis l’origine opaque des virus modifiés synthétiquement, utilisés successivement pour générer des épidémies régionales et mondiales. Les polémiques autour des vaccins stérilisants en disent beaucoup sur les nouveaux enjeux, sur les migrations.
L’injection d’un parasite létal peut-elle être l’arme parfaite de destruction massive des humains ? Un des outils pour accomplir le projet des apprentis dictateurs planétaires ?
Le danger serait que la réponse à ces interrogations suscite la question.
JO NESBO
Eclipse Totale
Editions Gallimard, 594 pages. 22 €
