AU TEMPS DE BUENA VISTA SOCIAL CLUB

REFLEXIONS AUTOUR D’UNE REEDITION

PAR FRANCISCO CRUZ  

PHOTO SUSAN TITELMAN, EBET ROBERTS, YORDANKA ALMAGUER, DR

La réédition (remasterisée) de l’album original du collectif Buena Vista Social Club réactive notre mémoire et nous invite à réviser nos carnets de notes d’une époque révolue. Une période où l’on nageait entre deux eaux, entre le deuil de rêves brisés et le sentiment croissant qu’il fallait tout changer dans le monde, mais surtout dans nos vies et dans notre façon-d’être-dans-ce-monde.

LE BAL DES CLICHES

Cet album historique, surprit l’Europe qui sortait de la stupeur et de la douleur semées par la guerre des Balkans et le génocide contre la population musulmane de Bosnie. On ne soupçonnait pas encore les agissements occultes des entreprises multinationales et leur pouvoir croissant sur nos vies. Et personne n’était en mesure d’anticiper les mensonges et la guerre qui permettraient aux militaires américains de massacrer le peuple d’Irak, et aux consortiums pétroliers de s’approprier tous leurs gisements.

Le changement de millénaire générait des expectatives qui faisaient resurgir certains atavismes mythologiques, mais dans une certaine insouciance on vivait encore loin de la peur. Danser, s’enivrer de rythmes, de sons, était un bel exorcisme, dans une ère trouble, incertaine. Logique alors de voir l’Europe réagir à la révélation de rythmes cubains avec excitation.

En France, Paris continuait d’être, sans équivoque, la capitale mondiale de la mode (vestimentaire). Dans le domaine musical, même si elle conservait un magnétisme spécial aux yeux des créateurs du monde entier, Paris était pourtant bien loin de générer une effervescence sonore tangible. Même les élégantes formules du genre «Paris capitale du jazz» ou «Epicentre de la sono mondiale» n’avaient plus de sens.

Toutefois, Paris a toujours eu sa propre façon de cultiver des modes internes, avec une logique d’absorption pas toujours très fine, ni de meilleur goût. Après son engouement pour les sonorités africaines, maghrébines, tziganes… la fin du vingtième siècle fut à la mode latine. Ou plutôt cubaine, pour être plus précis. Un phénomène culturel provoqué, d’une part, par l’ouverture des frontières cubaines (ce qui suscita un véritable raz-de-marée de musiciens cubains vers l’Europe), et d’autre part, par la fascination que provoquent chez les français (et les européens en général) les musiques dansantes. Car la clef de cette mode était la danse, le bal public ou privé, l’excitation, les sensations corporelles déclenchées par et à travers la musique.

Paris avait toujours été visité par les meilleurs jazzmen cubains, mais depuis quelques années c’est via l’Espagne (plaque tournante de la sono cubaine) que les musiques de bal avaient commencé à phagocyter l’intérêt des parisiens, puis des provinciaux. Sous l’appellation incontrôlée de « salsa », la rumba, la guaracha, le son, le cha-cha-cha, le songo, le guaguanco, la timba… envahirent les nuits parisiennes.

Des salons comme la Coupole à Montparnasse ou La Chapelle des Lombards à Bastille, la Java à Belleville ou Le Divan du Monde à Pigalle, puis une série de petites salles, dans tous les quartiers, construisaient leurs programmes autour des soirées dansantes et de concerts cubains. Plus encore, des clubs de jazz comme le New Morning, des salles « rock » comme La Cigale et des palaces de la variété comme l’Olympia présentaient aussi une programmation cubaine.

Loin des musiques nouvelles, actuelles, encore moins de recherche, elles étaient essentiellement tournées vers une programmation revivaliste. La mode cubaine se déclinait à l’ancienne, centrée sur la redécouverte de chanteurs retraités, amplifiée par l’événement Buena Vista Social Club, avec ses albums primés et boostée par le film documentaire réalisé par Wim Wenders. Victime d’un mélange de méconnaissance des musiques cubaines, d’incompréhension de la langue, d’évidentes difficultés à appréhender les subtilités rythmiques de ces expressions (la culture européenne ayant pendant des siècles éloigné la libre expression des corps sur et en musique), mais aidé par une propension à la facilité mélodique, le public parisien adopta le son traditionnel et tourna le dos à la timba et aux autres genres, parce qu’il était incapable de suivre la cadence infernale des musiques modernes. Malgré la prolifération de cours de danses cubaines.
D’ailleurs, il était amusant de voir des dizaines de gens appliqués à danser mécaniquement, répétant les mêmes gestes, sans pouvoir ressentir la clave à l’intérieur. Question de culture, impossible d’improviser…

VOYAGE A L’INTERIEUR

A en croire alors certains «spécialistes» (autoproclamés, certes) de musique cubaine – qui, paradoxalement ne parlaient pas l’espagnol, n’avaient jamais mis les pieds à Cuba, et ne dansaient pas sur les rythmes de l’ile -, celle-ci était parfaite pour animer les fêtes. Et les musiciens cubains, pour être médiatisés, devaient dépasser les 70 ans. Comme le bon vin, leur côte montait avec l’âge !

Depuis la (ré)ouverture du patrimoine musical cubain au marché international, s’en suivit une exploitation démesurée des fonds de catalogues. Notamment, celui du label Egrem (1), mais aussi des enregistrements anciens réalisés par des compagnies étasuniennes. La spécificité du libre marché déréglementé et la fièvre du profit s’associèrent jusqu’à dériver vers des situations très fâcheuses : un même enregistrement, réalisé à Cuba dans des conditions techniques difficiles, pouvait être l’objet de plusieurs rééditions européennes et se retrouver dans le même bac du magasin, sous des étiquettes et des emballages divers.

Une fois les catalogues originaux épuisés, la course aux signatures d’artistes était ouverte. Avec deux tendances principales mises en avant : la salsa à la cubaine, nommée timba et, surtout, le son traditionnel interprété par de vieilles étoiles, qui eurent leur moment de gloire avant les années soixante. Rapidement, les compagnies discographiques signèrent les meilleurs des vétérans qui commençaient à repartir en tournée (après 30 ans d’enfermement culturel) : Compay Segundo, Los Naranjos, La Vieja Trova Santiaguera, le Septeto Habanero, El Guayabero, Eliades Ochoa, le Septeto Nacional, Ibrahim Ferrer, Pepito Reyes… Enregistrés à La Havane, ces chanteurs connurent alors un grand succès auprès du public européen.

Pour des raisons qui n’étaient pas toujours d’ordre musical, mais aussi psychologiques, sociologiques et politiques. Sans oublier, évidemment, un aspect financier plus sordide : enregistrer et faire tourner des interprètes et des musiciens à la retraite était moins onéreux que produire disques et concerts d’artistes en activité à Cuba.

Malgré des conditions de transport précaires, de logement et d’alimentation regrettables, et toujours dans la crainte de problèmes de santé, ces nobles musiciens âgés étaient contents de prendre l’avion pour l’Europe, et mettaient le feu sur toutes les scènes qui les accueillaient.
Cerise sur le gâteau, une fois les anciens chanteurs signés par les compagnies européennes, la tendance fut de réaliser des enregistrements dans les villages cubains.
Criant à la découverte des « chaînons manquants » de l’histoire de la musique locale, les néocolonialistes de l’industrie musicale débarquaient à la recherche, non pas des meilleurs musiciens, mais de figures traditionnelles, capables à leur avis d’enthousiasmer le grand public, français et européen. Un public touché dans sa fibre sentimentale, et qui manifestait sympathie et tendresse spontanée envers ces papys et mamies infiniment vénérables. Lesquels chantaient et dansaient, heureux de se produire devant des auditoires si conquis d’avance.

Ce phénomène de mode eut, malheureusement, des conséquences perverses : il tendit un voile, inconscient ou cynique, sur les quarante dernières années d’une musique cubaine en pleine évolution. Car, accroché au vieux réflexe colonisateur, encore aujourd’hui, l’européen moyen accueille l’art du tiers monde à condition que celui-ci privilégie des aspects exotiques et divertissants. «Notre musique n’est pas sympathique, elle est belle !», déclarait le saxophoniste Paquito d’Rivera, dégouté par le commerce outrancier de l’ancienne musique cubaine. «Parle-t-on de la musique symphonique, de la musique de chambre, de la musique expérimentale cubaines?» ; Pas plus que de la nouvelle chanson, de la pop, du rock, de la fusion ou du hip hop locaux. Ou du jazz, naguère très convoité en Europe, qui se vit devancé par les vieilles gloires du son traditionnel… dans les programmes des festivals de jazz !

RETOUR A CUBA

Face à cette dynamique paradoxale, le mieux était de retourner à Cuba et de vérifier sur place, si la musique traditionnelle avait pris le dessus sur toutes les autres expressions musicales.

Juste après notre arrivée, la première surprise vint de la télévision nationale : en prime time on put se régaler avec un concert intégral du pianiste Ernan Lopez-Nussa en quartet. Avec comme invitée une vocaliste au swing étonnant, Haydée Milanés, fille du fameux chanteur Pablo Milanés. De même que Chucho Valdés, Orlando Valle «Maraca» ou Gonzalo Rubalcaba, Lopez-Nussa tournait davantage aux Etats-Unis (2). À La Havane, les deux clubs de jazz les plus importants ne désemplissaient pas : au «Jazz Café» (face au Malecón) se produisait le Habana Jazz Ensemble du saxophoniste César Lopez (ancien membre de l’orchestre Irakere), tandis qu’à «La Zorra y el Cuervo», entre deux concerts du guitariste Norberto Rodriguez, «Maraca» Valle peaufinait son groupe Otra Vision, avant d’entamer une nouvelle tournée américaine. Le lendemain, il devait se produire à l’Institut Supérieur d’Art, dans le cadre d’un cycle de concerts pédagogiques ouvert par le quartet de Chucho Valdés. L’occasion pour les étudiants (qui ne pouvaient se payer l’entrée en clubs) de rencontrer, dialoguer et demander des conseils aux musiciens professionnels. On constatait ainsi que le soutien académique pour la musique populaire avait évolué dans le bon sens, et que la communication se jouait en mode « horizontal ».

Le festival Jazz Plaza clôturait une nouvelle édition, toujours sous la direction artistique de Chucho Valdés. Double événement annuel, ce festival invite – depuis son origine -, des grandes figures internationales : Dizzy Gillespie, Charlie Haden, les frères Marsalis, Carla Bley, Pat Metheny, Herbie Hancock, Chick Corea, Wayne Shorter, McCoy Tyner, etc – mais il est surtout la grande vitrine du jazz cubain. Néanmoins, les groupes stables et solides commençaient à se faire rares, et la plupart des jeunes musiciens travaillaient plutôt en free lance. Dans les années 80, tous voulaient faire du jazz. À l’aube du troisième millénaire, pour survivre, beaucoup des musiciens talentueux choisissaient de se ré-orienter vers la timba, le genre musical le plus prisé dans les salons des hôtels internationaux.

Au beau milieu d’une série de nuits chaudes, dans des salles comblées de touristes, quelques professionnels cubains qui travaillaient pour des entreprises étrangères et de rutilantes callgirls (et de très jeunes callboys, fort convoités), on retrouvait les orchestres enfiévrés d’Isaac Delgado, Paulito y su Elite, Klimax… mais aussi la nouvelle étoile montante, une mulata à vous faire perdre le sommeil et la chemise : Osdalgia.

Dans un registre similaire, les belles d’Anacaona. Climat caressant et sensuel, érotisme et sexualité assumées. Une forme de consolation pour ces étrangers qui ont du mal à suivre le rythme accéléré de la musique. Pourtant, à vingt et trente dollars le billet, ce n’étaient pas les jeunes cubains qui s’y rendaient spontanément. Ceux-là organisaient des fêtes privées, dans des maisons ou des salles de quartiers. En attendant les concerts gratuits de timba, véritables orgies de danse populaire.

Quelques jours plus tard, à La Casa  de la Música, NG La Banda, toujours dirigée par la charismatique José Luis Cortés, faisait danser trois mille jeunes, sous une pleine lune qui exacerbait tous les désirs.

Tenaillés entre deux économies parallèles, l’une qui gérait le quotidien appauvri des cubains, l’autre qui administrait les devises apportées par le tourisme (de plus en plus industriel), ces musiciens étaient confrontés à des choix délicats. Pour ne pas perdre le lien avec le public populaire, ils avaient la possibilité de jouer lors de concerts gratuits, rémunérés selon un forfait minimum établi par le Ministère de la Culture. Sans oublier que tous les musiciens professionnels devaient aussi céder une partie importante de leurs cachets internationaux à l’État. Une taxe qui servait à assurer (tant bien que mal) la continuité de l’éducation musicale gratuite et les (minces) pensions des musiciens à la retraite (dont certains membres de Buena Vista Social Club, par exemple).

Dans les faubourgs et la banlieue des grandes villes, loin des regards touristiques, c’est le rock et surtout, le rap qui depuis quelques années régnaient. Comme le reflet d’un état d’esprit contestataire, ou désabusé, par tant de misère et de privations matériels. Sur une boucle préenregistrée, ou avec un tambour batá en contrepoint rythmique, ou carrément a capella, les rappeurs (dont beaucoup de filles) investissaient places, marchés, écoles, clubs sportifs ou jardins privés, pour transmettre leur colère, leurs angoisses, leur désespoir. L’exubérance provocante des textes était inversement proportionnelle aux moyens techniques dont ils disposaient, et le peu de rap qui se produisait en studio restait encore peu signifiant (3).

Montés sur un de ces beaux vieux taxis (des voitures étasuniennes des années cinquante, abandonnées par leurs propriétaires au début de la Révolution) réservés aux cubains (4), nous allâmes à Reparto Guiteras, pour découvrir en privé le nouveau répertoire du jeune pianiste Carlos Maza. Interprète virtuose et compositeur éclairé, émigré d’origine chilienne, qui se produisait déjà amplement en France, mais très rarement à Cuba. Plus tard, coup de chance, errant sur le chemin incertain de Guanabacoa, nous arrivâmes au début d’un concert inattendu du groupe Síntesis. Hallucinant. Défendant un répertoire atypique, très loin des déferlantes salseras ou soneras, le groupe Síntesis fusionnait la tradition ancestrale des chants yorubas (toques rituels et invocations des orishas) avec rock expérimental, funk et jazz avant-gardiste. Une superbe et inclassable expérience de musique nouvelle.

C’est au moment de croiser des confrères allemands qui cherchaient désespéramment le Club Social Buena Vista ! (5), que nous décidâmes de partir vers la province d’Oriente, le plus loin possible. Petit avion russe délabré et tempête tropicale, destination Guantánamo. Là-même où les yankees gardaient la plus absurde base militaire depuis la fin de la guerre froide. Un temps anachronique : entrée remarquée de l’aéroport vers la ville, avec musique spontanée jouée dans une guagua (car) qui roule par miracle, et parcours en «vélo-calèche» à travers la ville. Dans la rue, les locaux nous suggéraient de visiter le Centro de Superación Musical pour écouter une chanteuse de boleros, valses et son montuno ; la meilleure chanteuse de la ville, disaient-ils. Pour la première fois, on se sentait proche des sources de la chanson traditionnelle; et sur le chemin on imaginait rencontrer une jolie petite dame, habitée par ses souvenirs de charme. On avait tout faux. La scène découvrait une belle jeune femme, nature, sans la moindre sophistication. Généreuse, Leyanis Lopez nous régala avec des fruits du jardin maternel, nous présenta ses professeurs et ses proches, et nous convia au club où elle se produisait tous les weekends. Les histoires passionnelles sont ici plus discrètes et Leyanis chante les amours trompés, bafoués, meurtris, dans une ambiance plutôt familiale.

Sur le retour, l’escale musicale de rigueur nous conduisait à Santiago pour une visite à la Casa de la Trova (sans trouvères, car les dames étaient en tournée en France). La recherche de la Banda Municipal s’avéra aussi infructueuse : personne ne savait quand elle se produisait, ni où elle répétait. Ce qu’on découvrit, par contre, ce fut un concours de jeunes talents… De cha-cha-chá ? Non ! De jazz. La qualité des musiciens – un pianiste local de quatorze ans, un bassiste de Camagüey, un saxophoniste de Matanzas, et un autre enfant-batteur prodige de Pinar del Rio -, était remarquable. Bluffés, nous décidions de traverser l’île pour aller écouter ce qui sonnait là bas, à Pinar. Dans cette région pré-montagneuse point de rock, et les anciens ne jouaient pas en public. Catapultés dans une fête de quartier qui ressemblait aux soirées de La Java (dans le quartier de Belleville), on apprit qu’à San Cristobal de Pinar del Rio, le chanteur qui faisait l’unanimité s’appelait Fernando Borrego, dit Polo Montañez. Ancien bûcheron, il se produisait régulièrement dans un centre touristique, au milieu de chutes d’eau et d’une végétation exubérante. À mi-chemin entre bolero et variété espagnole, la chanson de Polo évoquait des histoires d’amour déchirantes qui faisaient pleurer les serveuses, sous le regard hébété de touristes allemands et étasuniens qui ne comprenaient rien.

BOUCLANT LA BOUCLE A LA HAVANE

À nouveau dans la capitale, on nous invita à trois événements du Teatro Nacional : un hommage à la chanteuse Elena Burke, avec tout le gratin de la trova et de la timba cubaines. Ensuite, à un concert de l’Orchestre Symphonique, dirigé par Leo Brouwer. Au programme, des œuvres de Cervantes, Lecuona et du même Brouwer. Pour finir la semaine avec le récital annuel du chanteur Silvio Rodriguez.

Sa poésie intimiste et richissime dans sa construction formelle – probablement la plus créative de la chanson hispano-américaine des quarante dernières années -, ont fait de lui un étonnant phénomène de masses en Amérique du sud (mais moins populaire que Pablo Milanés, pour les cubains). Fort de ses millions d’albums vendus, Silvio Rodriguez avait crée son propre label et mis sur pied le plus moderne des studios d’enregistrement (6). Chez lui, on retrouva Jesus « Chucho » Valdés, qui enregistrait pour Blue Note Briyumba Palo Congo, et la Orquesta Aragon qui achevait son album anniversaire Charanga Eterna. La tournée de studios continua chez Egrem, où Juan de Marcos Gonzalez, l’ancien leader de Sierra Maestra, peaufinait un nouveau disque avec l’Afro Cuban All Stars. Et au studio Eleggua, José Luis « El Tosco » Cortés travaillait sur deux projets en parallèle : avec une plantureuse chanteuse de charme, sur une sélection afro-timba très chaude, conçue pour le marché africain, et des arrangements «à la cubaine» commandés par la diva cap-verdienne Cesaria Evora.

La veille de notre départ, le seul concert de vieux routiers était à l’affiche. Au centre culturel (en restauration) de La Habana Vieja, le Septeto Habanero se présentait sur une scène en plein air. Impeccablement sapés, fiers de leur répertoire de quatre-vingts ans, ils eurent juste le temps de faire le soundcheck. Puis, une tempête imposa l’annulation du concert, et nous nous réfugiâmes chez Peruchin Jr (7) -nommé le Wes Montgomery cubain-, qui venait de gagner le prix du meilleur album de musique instrumentale cubaine, décerné par le jury de Cubadisc.

La musique cubaine s’exportait alors très bien, spécialement le versant traditionnel (8). À Cuba, la musique traditionnelle fait partie de l’histoire culturelle du peuple, respectée comme une base sur laquelle se fonde toute l’évolution musicale, mais elle ne constituait pas un domaine d’attention préférentielle. Malgré le blocus étasunien de quatre décennies et l’isolement politique, les cubains regardaient vers le futur. Eux aussi voulaient créer leur musique du troisième millénaire.

(1) Entreprise d’État créée à la suite de la Révolution, pour gérer toute la production et l’édition musicale à Cuba.
(2) À l’étranger, l’actualité discographique était plutôt fleurissante pour le jazz cubain : les nouveaux albums d’Omar Sosa, de Gonzalo Rubalcaba, de Chucho Valdés, de Paquito d’Rivera ou de Maraca Valle faisaient l’unanimité de la critique.
(3) Alamar, à une dizaine de kilomètres de La Havane, était le QG des rappeurs. On pouvait y croiser Cuarta Imagen, Proyecto F, anonimo Consejo, Primera Base ou les salaces énergumènes de SBS.
(4) Des taxis, des restaurants, des boutiques, des magasins, des hôtels… différents, tout tendait à séparer les cubains des étrangers. Trait d’union : la chasse aux dollars.
(5) Point de réunion des musiciens et centre de descargas des années cinquante, il avait disparu depuis belle lurette. Remis à la mode par les enregistrements du collectif Buena Vista et le film documentaire de Wim Wenders.
(6) Le label Ojala et le studio Abdala. Où Cesaria Evora enregistra son célèbre album Café Atlantico.
(7) Pedro Justiz, guitariste brillant, fils du légendaire pianiste « Peruchin ».
(8) Dernière frustration pour les cubains, les disques produits par les compagnies étrangères ne sont pas vendus à Cuba. De toute façon, ils ne pourraient pas les acheter.