SERGIO GONZALEZ / CONGRESO

« LA MAJORITE DES MEDIAS EST SOUMISE A LA LOGIQUE DU CONSUMERISME, DE LA MUSIQUE FACILE, PAUVRE, BANALE… »

Compositeur, batteur, multi instrumentiste, il est l’un des musiciens les plus créatifs et versatiles de la musique chilienne des dernières cinquante années. Membre original du groupe Congreso (à 14 ans), il est devenu rapidement son leader et créateur de musiques attitré. Pour Congreso, il a composé plus de 200 morceaux, instrumentaux et vocaux, distribués dans une vingtaine de disques. Musicien essentiellement populaire, producteur et directeur artistique sur les albums d’autres artistes, il a aussi côtoyé l’univers de la musique classique-contemporaine. Ses incursions dans ce domaine, soutenues par Alejandro Guarello, sont des passerelles fructueuses entre la musique écrite et improvisée, académique et populaire.

Et comme Guarello, très jeune, il devait faire un dangereux voyage de six heures, parsemé de check-points militaires, pour aller étudier la musique de Valparaiso à Santiago.

Durant trois décennies, vous avez composé beaucoup de musiques, pour divers interprètes, notamment l’ensemble Congreso, que vous dirigez. Gravée sur plus de 20 disques, accueillant une panoplie d’excellents musiciens, votre musique fait état d’un processus évolutif incessant.

C’est le désir de se renouveler, de se réinventer, de vouloir proposer toujours des musiques différentes, ce qui rend stimulants et agréables le travail et le temps partagés avec les autres musiciens. En tant que compositeur, je cherche toujours à aller ailleurs, à trouver des nouvelles sonorités, me surprendre à moi-même ; cela permet de surprendre aussi le public.

Etre toujours en mouvement c’est la clef d’une longue vie.

Vos compositions sont nées en étroite relation avec les qualités des musiciens autour de vous à un moment précis.

Du point de vue du compositeur, je fais la musique avec les musiciens proches, ceux qui veulent jouer avec moi. Dans le temps, j’ai travaillé avec des excellents instrumentistes, comme le bassiste Ernesto Holman, le percussionniste Joe Vasconcellos, le pianiste Anibal Correa ; plus tard, le claviériste Jaime Vivanco, le bassiste Jorge Campos. Ensuite, avec le percussionniste Raul Aliaga, le pianiste Sebastian Almarza… Mon défi est d’écrire la musique pour ces musiciens. Pourtant, forcé par les caractéristiques d’un marché trop petit pour la musique expérimentale, j’ai dû chercher un équilibre entre la musique instrumentale et la chanson nouvelle.

Les salles sont trop petites, les festivals de musiques instrumentales sont très rares, pour jouer durant toute l’année et se connecter plus amplement avec le public. Mais nous avons un public fidèle, très passionné par notre musique instrumentale.

Votre musique est inclassable, une fusion de contemporain-jazz-folk-rock, qui a un son et, plus encore, une architecture reconnaissable. 

Rétrospectivement, je pense qu’il n’y a rien de très géniale d’avoir mélangé différentes musiques. C’était dans l’air du temps. Depuis le début des années soixante-dix, je me souviens des peintres muralistes (de la Brigade Ramona Parra, attachée au parti Communiste), qui couvraient les murs des villes de toutes les couleurs. Les musiciens militants de gauche étaient très attachés au folklore, et nous, plus jeunes, nous étions très influencés par le mouvement hippie et le rock psychédélique. Je me suis nourri spontanément de toutes ces influences esthétiques. Plus tard, j’ai découvert la musique classique contemporaine, européenne, mais aussi latino-américaine : Alberto Ginastera, Heitor Villa-Lobos, Gustavo Becerra…

Au début des années 80, je me suis rapproché du jazz en m’éloignant un peu du rock. J’ai toujours été sensible et perméable à divers courants musicaux, car une attitude contraire te situe en dehors de l’actualité .

Depuis le changement de siècle, votre musique devient une référence, une influence importante pour les jeunes musiciens…

Etre une référence, c’est un constat très gratifiant. Les jeunes musiciens viennent dans les loges après les concerts, écoutent les disques, me contactent pour parler de musique, pour demander des conseils. Le temps de jouer, de composer, ou de partir en tournée, on a rarement conscience que sa propre musique peut devenir le point de départ pour d’autres musiciens. Plusieurs groupes, aujourd’hui, prennent comme référence la musique que j’ai composée autrefois.

La sensation est étrange. Car, je m’assois au piano pour composer des nouvelles musiques, sans regarder en arrière, sans vouloir m’inspirer de ma musique d’hier.

Je me sens absolument actuel, regardant toujours vers l’avenir, voulant créer et expérimenter des choses nouvelles. Tandis que les autres nous voient comme des musiciens très solidement établis. Sentir la reconnaissance des jeunes musiciens, et apprendre que l’un ou l’autre des disques que j’ai composés est leur principale source d’inspiration pour avancer dans la musique. C’est étrange mais très agréable.

Dans le temps, vous avez amplifié énormément le spectre de timbres dans vos compositions, et votre ensemble est devenu un laboratoire de combinaisons harmoniques et orchestrales.

Le travail de composition, je le vis dans la proximité de la matière, comme un artisan. Très loin de l’image idéalisée du compositeur qui, dans la pure abstraction, peut imaginer toutes sortes de combinaisons instrumentales, sans tenir compte de la disponibilité concrète des musiciens. L’art de la composition, je le pratique en fonction de la sensibilité des musiciens et les caractéristiques des instruments disponibles. Il est vrai que j’ai eu la chance de disposer d’une panoplie très large de musiciens, et de pouvoir offrir encore des surprises. Je suis, avant toute classification, un musicien populaire, bien que ma musique ne corresponde pas aux critères de la popularité commerciale. Dans ce sens, je n’ai jamais cherché le statut de musicien d’avant-garde. Je suis heureux de jouer avec les musiciens que j’apprécie par leurs qualités humaines et artistiques. Nous sommes des travailleurs de la musique, nous avons appris la rigueur, nous connaissons les difficultés d’accès au-devant de la scène, et notre condition décalée, presque underground, n’a pas varié avec la démocratie. Car, la majorité des médias, anti ou pro démocratiques, sont toujours soumis à la logique du consumérisme de la musique facile, pauvre, banale… la mauvaise musique.

Contrepoint heureux, qui confirme (encore une fois) la qualité musicale et la créativité incessante de Gonzalez et Congreso, il y a quelques mois leur dernier album Luz de Flash fut primé comme la meilleure production discographique de l’année. Et plus récemment, un disque hommage à la musique de Congreso, Ya es tiempo, dirigé par le violoniste Nano Stern et le guitariste Simon Gonzalez (avec la participation d’une vingtaine de musiciens), vient de paraître. Il y a une semaine, un émouvant concert de Congreso à eu lieu à Santiago, pour célébrer les 50 ans de Terra Incognita,

album enregistré en 1973 (publié par EMI en 1975, sous licence Decca Angleterre, pour éluder la censure). A cette époque, ils osaient chanter : « De tous les metiers qui produisent les choses, il y a certains qui sont maudits, pour envoyer les gens dans les fosses…(le public traduisait en silence : les militaires sont en train d’asassiner les militants de gauche)…J’ai haï les infections comme l’injustice, la faim des pauvres produite par l’avarice…». Son actualité est, en partie diverse, mais toujours latente.