Personnalité à part dans le monde du jazz contemporain, le pianiste étasunien l’est d’abord par ses origines indiennes, mais surtout par son parcours atypique. Nous l’avons découvert un soir de 1995, au club de jazz de La Villette, au sein du quintette de Steve Coleman. Vingt-huit ans et des dizaines d’albums plus tard, il demeure au sommet de sa créativité. Il vient de publier Compassion, un deuxième album en compagnie de la bassiste Linda May Han Oh et du batteur Tyshawn Sorey…
PAR FRANCISCO CRUZ
EQUILIBRE TRIANGULAIRE ET EMPATHIE MUSICALE
Tout au long de son impressionnant parcours, Vijay Iyer a joué et enregistré dans divers formats, notamment en trio, avec des musiciens étasuniens ou indiens. Bien que très tôt il ait aussi opté pour des performances solitaires, c’est la formule triangulaire qui semble avoir ses faveurs. Pour preuve ultime, ce formidable trio avec Linda Oh et Tyshawn Sorey. Après avoir fait paraître sur ECM l’album Uneasy (2021), Iyer poursuit avec Compassion son association avec ces deux talentueux partenaires.
C’est dans leur incroyable capacité à se connecter les uns aux autres, d’une manière quasi-télépathique, que les trois musiciens trouvent le secret d’un équilibre remarquable. Dans ce nouvel enregistrement (son huitième album pour ECM en tant que leader), Vijay Iyer persiste dans sa volonté d’explorer de nouveaux territoires et l’essentiel du répertoire est constitué par des compositions originales du pianiste. Séduisantes mélodiquement et rythmiquement stimulantes, elles vont du méditatif thème-titre « Compassion », à des morceaux beaucoup plus énergétiques comme « Tempest » et « Ghostrumental ».
Les mutations de l’univers sonore de Vijay Iyer ont toujours été aussi surprenantes que d’une parfaite cohérence. Après ses audacieuses progressions harmoniques en duo, ses accélérations rythmiques en trio, le pianiste – musicien libre de toutes dépendances stylistiques – offre aussi des œuvres polymorphes plus proches des musiques contemporaines minimalistes, post-sérielles, que des héritages bop du jazz.
Fidèle à ses racines, il signe de multiples clins d’œil à ses maîtres, dont deux prestigieux musiciens étroitement associés au label munichois. Il propose une version d’« Overjoyed » de Stevie Wonder, jouée comme une pièce en hommage au regretté Chick Corea, ainsi qu’une version particulièrement intense de « Nonaah », composée par Roscoe Mitchell.
VIJAY IYER
Compassion
(ECM / Universal)