AKIKO YANO – « AI GA NAKUCHA NE » – RYUICHI SAKAMOTO – « ESPERANTO »

DES SECRETS DU SOLEIL LEVANT

Les années 80, furent marquées par l’irruption mondiale sur scène de couples dans la vie réelle. Notamment dans le registre de la pop, légère, aérienne et allègrement dansante. Catherine Ringer et Fred Chichin faisaient danser la France avec «Marcia Baila», Rita Lee et Roberto de Carvalho donnaient le contrepoint à la samba au Brésil avec le lancinant «Lança Perfume»; en Italie Albano et Romina Power rendaient la vie souriante avec leur «Felicita» et, au Japon, le duo glamour Akiko Yano-Ryuichi Sakamoto – découvert au sein du célèbre Yellow Magic Orchestra -, faisait l’unanimité chez les jeunes, de Tokyo à Osaka.

PAR FRANCISCO CRUZ

Le monde musical tournait ainsi, voulant oublier le cauchemar du Vietnam et essayant de donner une respiration optimiste face aux dictatures qui s’étaient installées ici et là, préfigurant le monde d’aujourd’hui.
Au codeur d’une belle série de redécouvertes de la musique pop nippone de l’époque, on retrouve donc la première édition européenne de divers albums de Ryuichi Sakamoto et de celle qui fut sa compagne durant une trentaine d’années, la charmante Akiko Yano. Parmi ces rééditions, deux pépites pour réjouir nos oreilles en cette fin d’année hivernale chargée de sinistres prémonitions.

Ai Ga Nakucha Ne (« Ce que doit être l’amour »), produit par le couple Yano-Sakamoto, fut enregistré à Tokyo et à Londres, avec des musiciens du Yellow Magic Orchestra et du groupe anglais Japan (Mick Karn, Steve Jansen et David Sylvian). La collaboration vocale entre Akiko et Sylvian est remarquable.

Si la communion entre la chanteuse et ses anciens camarades du YMO était tout à fait créative (mais aussi bien prévisible), plus surprenante est la complicité et l’aisance musicale qui s’établit entre le groupe de rock anglais et la chanteuse pop nippone. Tout en restant fidèles a leurs spécificités culturelles et musicales respectives. Dans ce programme équilibré, alternant thèmes dansants et ballades plus intimistes, on remarque l’excellent «Good Night» du duo Yano-Sylvian, la pop accrocheuse de «Aisuru Hito Yo» et l’avant-groove de «Another Wedding Song »».

La découverte planétaire de Sakamoto sur Furyo – film de Nagisa Oshima, avec une remarquable performance de Takeshi Kitano, sous-titré « Merry Christmas Mr Lawrence » (1984) -, où le clavier japonais partage la vedette avec David Bowie, marqua pour l’artiste polymorphe Sakamoto le début d’une carrière remarquable dans l’univers des musiques de film – collaborations avec Bertolucci, Almodovar, Gonzalez Iñarritu… -, de la pop internationale et de la musique brésilienne – Caetano Veloso, Marisa Monte, Vinicius Cantuaria… introduit par Arto Lindsay. C’était juste après Furyo que le pianiste et claviériste fut sollicité par la chorégraphe new-yorkaise Molissa Fenley (qui avait collaboré précédemment avec Philip Glass et Talking Heads) pour composer la bande-son de son projet Esperanto (en 1985). Sakamoto composa et enregistra au Japon, reprenant l’expérimentation électronique qu’il avait développée à la suite de YMO. Il travailla à l’aide d’un échantillonneur (qui était l’instrument de pointe de la technologie musicale de l’époque) et d’un ordinateur immense (procédé inimaginable aujourd’hui). Et invita Arto Lindsay à la guitare électrique et le percussionniste Yas Kaz. Le résultat sonore (daté certes par la technologie) n’en est pas moins brillant, et offre un vaste éventail d’ambiances, allant de séquences quasi robotiques jusqu’à de douces évocations de la nature, de l’abstraction minimaliste la plus neutre à des atmosphères organiques intégrant des chants d’oiseaux et des motifs tropicaux. Son écoute, bien qu’exigeante de prime abord, devient fascinante par la suite, de la pluie répétitive de «A Rain Song» aux danses d’«Ulu Watu», de la profondeur aquatique de «Dolphins» aux artiques harmonies d’«Adelic Penguins».

Ce monde sonore, demeuré terra incognita pendant quarante ans pour les oreilles européennes, peut enfin être à la portée de tous. D’autres multiples territoires des sons du monde restent toujours à découvrir.

AKIKO YANO
Ai Ga Nakucha Ne

(We Want Sounds/Modulor)

 

 

 

 

RYUICHI SAKAMOTO
Esperanto
(We Want Sounds/Modulor)