Un an après le décès du génial pianiste et compositeur japonais, on pouvait s’attendre à la publication d’une série d’enregistrements inédits réunis dans un album posthume. Au lieu de cela, nous avons le plaisir de découvrir, en Europe, un album solitaire publié seulement au Japon il y a quarante ans, avec les compositions de sa plus célèbre musique de film, la bande sonore de Furyo (film du réalisateur Nagisa Oshima). Beauté intemporelle.
PAR FRANCISCO CRUZ
Par delà l’appel à la mémoire d’une histoire troublante de violence (et d’amour réprimé) en temps de guerre, cet enregistrement invite l’auditeur à retrouver (ou découvrir) Sakamoto dans la seule sphère musicale, sans paroles et sans images. Et à retrouver la trace originale de son prolifique travail de composition qui, durant quatre décennies, s’est diversifié sur les sentiers de la musique orchestrale acoustique, de la techno pop, de la bossa nova, de la musique électronique expérimentale ou de la musique cinématographique.
Au sommet de sa popularité locale au sein du Yellow Magic Orchestra, avant même sa découverte en Europe en compagnie de David Sylvian et David Bowie, Ryuichi Sakamoto avait déjà construit un noyau fondateur à partir duquel allait se développer la diversité de sa création musicale ultérieure. Une musique fondamentale donc ; dont des compositions qui s’intégreraient ensuite parfaitement dans les programmes de piano solo présentés à travers le monde et que nous eûmes la joie d’écouter (à Paris, à Barcelone et ailleurs) durant les dernières années de son existence.
Difficile de déterminer à distance et décalés dans le temps, si ces enregistrements ont précédé ou suivis la construction, les orchestrations et la réalisation de la bande sonore du film d’Oshima, où Sakamoto joue un rôle protagoniste (de soldat haut gradé impitoyable avec lui-même). La logique ferait choisir la première option, mais dans l’impossibilité de consulter le créateur, on se contentera volontiers de l’écoute libre de ces bandes, «hors du temps».
Cerise sur le gâteau, l’album contient aussi le thème « Germination », utilisé par le réalisateur Luca Guadagnino dans son film Call Me By Your Name, ainsi que les thèmes ambient «Japan» et «Coda».
Sous-titré «Merry Chistmas Mr. Lawrence» (expression chargée d’ironie dans la bouche du sergent incarné par l’acteur Takeshi Kitano dans le film), par cette période que la plupart des occidentaux estiment propice pour offrir, Coda devient soudain un des plus beaux cadeaux «inactuels» de cette fin d’année. Sakamoto nous a fait don de sa musique, et nous a demandé aussi de planter des arbres, pour préserver nos enfants et la vie dans cette planète. Pensons-y.
RYUICHI SAKAMOTO
Coda
(We Want Sound)
