SERGI PUYOL – « UN AUTRE SANG »

SANG POUR SANG

PAR CHRISTIAN LARRÈDE

Une phrase incantatoire extraite d’une nouvelle d’un prix Nobel de littérature russe, Une crise de catalepsie, et une quête existentielle : voilà de quoi occuper Armando le héros, personnage on ne peut plus normal, puisqu’il n’aime ni les vendredis, ni travailler, et ni les autres. 

Catalan, le graphiste, dessinateur et lettreur Sergi Puyol rappelle, dans ce cheminement métaphysique où l’on perd la tête (au sens premier du terme), l’appétit et son travail, que l’important n’est pas la recherche, mais bien quoi faire de ce que l’on a découvert. « Une aube anémique érodait l’aurore maladive du côté du levant grisâtre » : cette phrase, vaguement ampoulée, on la doit au romancier Mikhaïl Cholokhov (extraite d’une nouvelle…non traduite en français), et elle semble dotée de vertus hypnotiques, que tente de décrypter Armando, (se) posant au passage quelques interrogations essentielles. Vers quoi nous entraîne la perte d’un être aimé, et la souffrance qui l’accompagne ? Quelles sont les portes de l’imaginaire qu’entrouvre cette souffrance ? La philosophie est-elle soluble dans le quotidien, et où vont nos certitudes lorsqu’elles se délitent dans les troubles existentiels ? Un Autre Sang parcourt ce questionnement (et bien d’autres encore) avec une immédiateté, une complexité qui compensent un graphisme peu séducteur (ce n’est pas le propos), optant pour une naïveté de mise en couleurs et en perspective qui nous recentre sur ce que nous sommes, et comment nous agissons (c’est bien le propos). On croise donc dans ce périple des totems en chewing-gum à la fraise, une bande de conspirationnistes, et une flopée de canettes de bière. Et on finit par convenir, malgré le titre original de l’album (Le Sang Étranger) que l’enfer, ce n’est pas forcément les autres. Perturbant.

SERGI PUYOL

Un Autre Sang

Editions Rackham, 112 pages couleur, 21 euros