PATRICK SCARZELLO – « CAMERA SILENS PAR CAMERA SILENS »

SOUS LES PAVÉS, LES PAVÉS

PAR CHRISTIAN LARRÈDE

Autobiographie fiévreuse et en mode oral d’un groupe emblématique du punk bordelais (et favori d’une certaine intelligentsia – Virginie Despentes ne leur a jamais mégoté son affection), mise en forme chronologique par le divin marquis (de Sade ?) du rock aquitain : une invraisemblable saga, que l’on goûtera jusqu’à l’hallali, sans particulièrement apprécier ni le punk, ni la Salle des Fêtes du Grand-Parc de Bordeaux. Ou la Brink’s.

Et un jour (circa les 80’s et à suivre), Camera Silens échappa au destin balisé, tous Rangers dehors, de figure de proue punk d’une ville qui se considérait alors, en concurrence frontale avec le Lyon de Starshooter ou le Rennes de Dominic Sonic, comme la dernière place to be du rock hexagonal…

Benoît Destriau, le charismatique chanteur et bassiste Gilles Bertin et les autres, soutenus par un fan-club aussi fidèle que turbulent, tentent de se frayer en funambule (Une vie pour rien) un chemin escarpé entre l’amitié absolue comme on n’en rêve plus que dans les squats, les substances psychotropes, la cohabitation avec certains séides d’extrême-droite réprouvés (le nom du groupe provient des cellules d’isolement que l’Allemagne réservait aux militants de la Fraction Armée Rouge, et les musiciens professaient une certaine fascination pour l’Ira, ou les Basques d’Euskadi ta Askatasuna), et la nécessaire survie économique. Passées les gammes d’amateurs qui leur permettent de fournir en briquets et stylos de luxe les bourgeois de la ville, Camera Silens jalonne ses dates de concerts d’autant de faits d’armes et autres cambriolages, qui ne manquent pas d’éveiller l’intérêt des pandores. Jusqu’à ce 27 avril 1988 où, suivant un rigoureux modus operandi, Bertin et des comparses attaquent un dépôt de la Brink’s. Près de 2 millions d’euros (jamais retrouvés) plus tard, le chanteur choisit la clandestinité, et fuit en Espagne puis au Portugal. Il mettra à profit l’exil pour fonder une famille, et tenir une boutique de disques, mais contractera le sida. Après 28 ans de cavale, Bertin repasse la frontière et se constitue prisonnier. Il est condamné à 5 ans de prison avec sursis, et décède en 2019. Annoncé en lever de rideau par l’impeccable et vibratile préface de Thierry Saltet, ce livre déchirant s’appuie sur le style élégant d’un Scarzello au sommet, pour avoir fredonné in situ, avec quelques autres, cette improbable complainte. Un indispensable document sur des enfants (perdus) du siècle.

PATRICK SCARZELLO

Camera Silens par Camera Silens

Éditions Castor Astral/Castor Music, 304 pages, 14 euros