ALL STARS NEW MORNING 2022

 SCO AND CO

Les clubs ont connu une période sombre. Faire revenir le public, habitués et curieux, n’était pas gagné d’avance. Une programmation cohérente, fidèle à son Adn, un lieu définitivement irremplaçable pour le jazz à Paris – ici les murs ont emmagasiné mille souvenirs mythiques, les spectateurs aussi -, des concerts de qualité : tout était réuni pour que l’histoire reprenne son cours.

PAR ROMAIN GROSMAN

L’Hypnotic Brass Ensemble renvoie plutôt aux groupes de go-go de Washington, à Defunkt (toutes proportions gardées, on est d’accord) qu’aux brass bands de référence : tout se joue ici à l’énergie. Du groove, avec une rythmique surpuissante et très présente. Les cuivres, finalement, sont en appoint, ou en première ligne, mais sans occuper tout l’espace. On n’est pas à La Nouvelle-Orleans, dans la culture des fanfares, où sax, trompettes, trombones, donnent le ton et l’impulsion, dans la force des unissons comme dans les chorus. Le groupe repose sur une pulsation plus urbaine, et les séquences menées par les voix et le rap des protagonistes (qui lâchent alors leur pupitre), finissent par faire basculer l’impression générale du côté de cette vibration contemporaine.

John Scofield, dans une première impression, ressemble en prenant de l’âge au regretté astrophysicien et poète des étoiles et du cosmos Hubert Reeves. Mais Sco, dès les premières mesures, démontre qu’il n’a rien perdu de son inspiration née dans cette passion jamais éteinte pour la musique en général, le jazz bien sûr, mais aussi le rock, la pop, la variété, le blues… Tout ce que l’on a jeté dans un maelström renommé Americana, par commodité mais pas que. Car Sco aime vraiment le patrimoine de ce pays contradictoire, riche et souvent antagoniste que sont les Etats-Unis, hier et encore plus aujourd’hui. Il reprend Dylan (« Mr Tambourine Man »), Leon Thomas et Pharoah Sanders (« The Creator Has A Master Plan »), comme Hall and Oats, Leadbelly, cite Hendrix, avec une vrai affection pour ces styles en apparence disparates, parfois voisins, mais pas nécessairement reliés. Sauf dans son inconscient, pour le coup bien conscient : la mémoire d’un musicien ouvert aux expressions tellement plurielles de « son » Amérique. Sco les interprète avec empathie, un esprit libre – des improvisations vagabondes mais toujours passionnelles -, et beaucoup de chaleur. Le public le ressent. En témoigne. Un des beaux moments de l’été.

On a découvert Lakecia Benjamin il y a une dizaine d’années, en club, à New York. Elle y jouait un répertoire funky, inspirée par Maceo Parker, notamment. La jeune femme a pris en maturité et se présentait au New en leader d’un quartet impeccable : Victor Gould (piano), Ivan Taylor (contrebasse) et le décisif E.J.Strickland à la batterie. Décisif parce que la jeune saxophoniste a besoin d’être poussée dans ses retranchements puisqu’elle se présente ici pour défendre son dernier projet dédié aux « Coltranes », John et Alice, dont les thèmes nourriront à parts presque égales les deux sets de cette soirée. Car de son background, la new-yorkaise a gardé un phrasé saccadé qui ne lui autorise que peu de longs développements et approfondissements pourtant inhérents à la musique de ses inspirateurs du soir. Son investissement, son contact avec le public, font pourtant passer une bonne vibration et le concert prend corps en avançant. Notamment à la reprise, avec « My Favourite Things », puis au final avec « Alabama », « Love Supreme ». Mais on reste comme à la surface d’une œuvre survolée plus que véritablement investie. Le vécu des musiciens n’est plus forcément suffisamment dense pour s’approprier cette musique, sa dimension spirituelle. La soirée reste pourtant agréable. La musicienne se montrant humble et heureuse de partager ce moment avec un groupe de belle qualité, et un auditoire plutôt satisfait au final…