LUCKY PETERSON

LE BLUES EN HÉRITAGE

PAR ROMAIN GROSMAN

Trop jeune pour partir, Lucky Peterson est mort dimanche 17 mai à Dallas, à l’âge de 55 ans, des suites d’un AVC.

L’une de nos premières rencontres marquantes avec le bluesman remonte à 1993. Lucky Peterson signé par PolyGram (les Gitanes Jazz Productions) – lorsque la major enregistrait (sous la direction de Jean-Philippe Allard) les légendes du jazz et du blues Joe Henderson, Abbey Lincoln, Shirley Horn, Randy Weston, Johnny Copeland… -, venait présenter I’m Ready, son premier enregistrement de portée internationale, la veille d’un live mémorable en première partie de James Brown, à Bercy. Fluet, dans un survêtement bariolé, pas du tout effrayé par la perspective d’«ouvrir» pour le Godfather, le jeune homme pas encore trentenaire, avait déjà pas mal roulé sa bosse.

Enfant de la balle, il trainait dans les pattes des légendes du blues qui se produisaient au Governor’s Inn, le club de son père James, à Buffalo. Petit prodige, des premières vidéos le montrent jouant de l’orgue dans des shows télévisés à seulement sept ans ! Sideman auprès de Willie Dixon, Little Milton, Bobby « Blue » Bland, Otis Rush ou Etta James, Lucky Peterson a déjà fait ses armes comme les anciens, sur scène comme en studio (avec quelques albums notables, Lucky Strikes ! en 1989, ou Triple Play en 1990 pour Alligator) et sa performance tonitruante ce soir-là devant un POPB sidéré confirme le métier et l’étoffe du jeune bluesman.

La suite, les albums pour Verve, Dreyfus, les concerts et tournées en France où il était l’une des incarnations de la relève du genre (avec Kenny Neal, Melvin Taylor, Joe Louis Walker, avant les Eric Bibb, Keb Mo’, Gary Clark Jr.), lui avaient valu la reconnaissance et la sympathie fidèle du public hexagonal.

Passionné de soul et de funk, il passa en notre compagnie, dans les années 90, après une séance de présentation dans une Fnac parisienne, une bonne partie de son après-midi à se choisir une cinquantaine de classiques de Cameo, de Roger, du Gap Band… C’était encore l’âge d’or du cd et Lucky Peterson rêvait d’enregistrer un album dans une veine plus groove.

Rattrapé par des problèmes d’addiction, qu’il avouait sans détours et pensait avoir surmonté grâce au soutien de sa femme Tamara, ses sessions et lives récents, routiniers, n’étaient plus aussi tranchants. Apparemment affaibli, il tire donc sa révérence bien trop tôt et avec lui s’éteint un des derniers enfants du blues électrique urbain, aussi doué à la guitare qu’à l’orgue, un vrai showman, généreux et authentique.