INSIDE DANIEL DARC

« DANIEL, TOUS CEUX QUI L’ONT COTOYE ONT ETE ECLABOUSSES »

PAR KATHLEEN AUBERT

Au fil d’images tournées sur plus de vingt ans, le film Daniel Darc – Pieces Of My Life offre un regard intime sur la vie du chanteur français disparu en 2013. Rencontre avec Marc Dufaud et Thierry Villeneuve, les deux réalisateurs de ce portrait touchant mais sans complaisance. 

Marc, une amitié très forte vous liait à Daniel Darc, à qui vous aviez déjà consacré plusieurs films. Peut-on parler d’une obsession pour l’homme et le personnage ?

MARC DUFAUD : Je ne suis pas obsédé par Daniel, mais mon envie de faire des films est liée à lui, c’est vrai. Elle est née le jour où je l’ai vu sur scène au Gibus en 1990. C’est comme ça que (ndlr : dans les années 90) sont nés Le Garçon Sauvage, Les enfants De La Blank et White Trash, qui n’ont jamais été distribués. Ensuite, je n’ai pas fait de cinéma pendant des années, parce que je ne m’en suis pas donné les moyens. (ndlr : Marc Dufaud a écrit une dizaine de livres, dont le roman Les Peaux Transparentes). Grâce à Thierry, que je connais depuis le lycée et qui avait collaboré à mon moyen-métrage Rêve Cœur pour l’album de Daniel Crève-Cœur), cette fois je suis allé jusqu’au bout.

THIERRY VILLENEUVE : Marc possédait tant d’archives personnelles sur Daniel qu’après le décès de ce dernier en 2013, je lui ai suggéré que c’était le moment d’en faire quelque-chose. Au début, il ne voulait pas. Et puis l’idée a fait son chemin et il a accepté, à condition qu’on le fasse ensemble.

Un film si personnel est forcément subjectif, surtout quand on doit opérer un choix parmi tant d’archives. Comment avez-vous fait pour trier ?

THIERRY VILLENEUVE : On a commencé par filmer de nouvelles images, par exemple des lieux où Marc avait tourné avec Daniel, de son appartement… Ensuite, on a passé beaucoup de temps à regarder les archives, et on a tout trié par thématique : le punk, son enfance, son rapport à la littérature, son humour… On s’est vite dit qu’on allait partir de la fin, on ne voulait pas respecter de chronologie. Les thèmes se sont entrainés les uns, les autres… Puisqu’elles existaient, on a aussi utilisé des séquences des autres films de Marc.

MARC DUFAUD : C’est un peu comme si on avait juxtaposé des petites photos qui au final, quand on recule, dessinent un visage. Pour l’affiche, j’aurais trouvé ça génial… Toutes ces images, se sont des moments de la vie de Daniel. D’où le choix du titre. Le montage a été primordial. Derrière un bordel apparent, le film raconte une histoire, il est très rythmé…

Outre celui de Daniel, ce film dessine aussi le portrait de Marc…

THIERRY VILLENEUVE : C’est vrai, car Marc y est omniprésent : il a tourné ces images, même s’il est presque toujours hors-champs. C’est son histoire. Le vrai intérêt du film, c’est ce parti-pris. Si on m’avait proposé de réaliser un simple documentaire sur Daniel Darc, je ne m’y serais pas investi de la même manière. N’importe qui peut faire un film sur Darc. Ce qui fait la force de celui-ci, c’est qu’il soit fait à travers le regard de Marc et de son amitié.

Si Daniel Darc n’était pas mort, ce film existerait-il ?

MARC DUFAUD : Sans doute pas, parce que Daniel avait une carrière encore florissante. Il avait un album qui sortait… Il avait des projets. On devait faire un livre ensemble, et un road trip à Memphis Tennessee ! Donc, non, il n’aurait pas existé, et j’aurais préféré qu’il existe le plus tard possible…

Votre film s’adresse-t-il uniquement aux fans ?

THIERRY VILLENEUVE : Pas du tout. On part de l’intime pour raconter une histoire beaucoup plus universelle. Lors des premières projections, des gens qui ne connaissaient pas Daniel Darc ou qui n’aimaient pas sa musique ont été bouleversés par le film, car il montre une trajectoire et un personnage uniques. Ca parle de vie, de poésie… Ca peut toucher tout le monde.

MARC DUFAUD : Ce n’est surtout pas un film hermétique. Ca va bien au-delà de la musique. Il y a aussi une peinture de Paris, d’une époque…

Le personnage complexe et ambigu que l’on découvre à l’image est effectivement bouleversant, mais quand est-il Daniel et quand est-il Darc ?  

MARC DUFAUD : On ne sait pas, et lui non plus. Ca lui a d’ailleurs causé des problèmes toute sa vie. Même si nous étions très proches, Daniel était toujours très conscient qu’il y avait une caméra. Pour saisir certains moments, il aurait fallu tourner en caméra cachée, ce que je n’ai jamais fait.

Les femmes sont les grandes absentes du film, que certains pourraient qualifier de misogyne. Pourquoi ce choix ? 

MARC DUFAUD : Sa femme ne voulait ni témoigner, ni apparaître à l’image. Et il n’était pas question que je fasse un film avec sa muse d’il y a dix ans ou je ne sais quoi.

THIERRY VILLENEUVE : Pendant le montage, ma fille m’a aussi fait cette remarque. Du coup, un peu pour rire, lors de la première, j’ai expliqué que Pieces… était un film de mecs, fait par des mecs, avec des mecs. Sauf que le vrai sujet du film, c’est le hors champs, et c’est justement les femmes ! En fait, comme il est construit autour de l’amitié entre Marc et Daniel, avec les images faites par Marc, on pourrait se demander si ça n’est pas plutôt un film homo que macho… Pourquoi y aurait-il des nanas dans un film homo-compatible ? Les seules qu’on aperçoit, ce sont les mamans de Marc et de Daniel…

D’où le parallèle inévitable entre le couple Darc-Dufaud et celui formé par Jack Kerouac et Neil Cassady, deux figures centrales de la Beat Generation, un mouvement littéraire qui passionnait Daniel Darc… Il fantasmait votre propre version de Sur La Route, non ?

MARC DUFAUD : Oui, sauf qu’on n’est jamais partis très loin ni très longtemps, parce qu’on ne pouvait pas. Le moindre voyage se transformait en expédition ! (rires) Daniel était un grand voyageur immobile, en particulier à travers la littérature et la musique.

Comme le montre le film, en tant qu’artiste mais aussi en tant qu’homme, Daniel Darc a marqué à vie la plupart de ceux qui ont croisé sa route, que ce soit durant une heure ou 25 ans, dans ses années de succès ou au creux de la vague. Qu’avait-il de si spécial ? Qu’avait-il que les autres n’ont pas, ou l’inverse ?

MARC DUFAUD : C’était un être extra-ordinaire. Il touchait les gens humainement parce qu’il avait besoin de leur amour, et qu’il leur renvoyait. C’était à la fois une faiblesse (dont il jouait) et une force.

THIERRY VILLENEUVE : Dans les images qu’on n’a pas mises dans le film, il y a une interview de Mirwais (ndlr : qui faisait partie du groupe Taxi Girl avec Darc) décrivant l’instant où Daniel s’ouvre les veines sur scène au Gibus. Il dit un truc du genre : « Ma seule obsession à ce moment-là, c’était de ne pas être éclaboussé. Mais j’ai été éclaboussé quand-même. » Cette phrase résume tout. Tous ceux qui l’ont côtoyé ont été éclaboussés. 

PIECES OF MY LIFE

Réalisé par Marc Dufaud et Thierry Villeneuve

Sortie en salles le 24 juillet 2019