DANYÈL WARO

“DANS TOUTE SITUATION, IL FAUT POUVOIR PLANTER, POUR ÊTRE VIVANT… FAIRE POUSSER LA GRAINE DANS N’IMPORTE QUEL TERRAIN ROCAILLEUX, OU FUMIER ”

PAR CHRISTIAN LARREDE

PHOTOS CHRYSTEL ROUCHON

Peut-on limiter une rencontre avec Danyèl Waro, figure emblématique du maloya, ce blues ternaire propre à La Réunion, au seul sujet de la musique ? Au bout de quelques minutes, la réponse fuse : on ne peut pas.

En passant par le centre de détention d’Écrouves, votre première tournée française a débuté le 31 janvier 1976…

(rires) J’avais annoncé à mes proches que je n’allais pas rester deux mois en France, et que je ne jouerais pas la comédie pour être classé P4. Et, donc, que je ferais deux ans de prison pour insubordination, puisque c’était le tarif à payer quand on refusait le service militaire. Dès que j’ai entendu parler de la guerre du Vietnam, et autres expressions de l’impérialisme, déjà tout petit, j’ai su que je ne marcherais pas au pas, que je ne me battrais pas pour une patrie qui n’est pas la mienne. Mais cette décision de faire 22 mois de prison, je l’ai prise…en toute liberté (rires) !

Au sens premier du terme, vous êtes un enfant de la terre, de la ruralité ?

Oui, bien sûr…On mangeait ce qu’on plantait : du maïs (qui a de la barbe avant d’avoir des dents), des taros (choux), des patates, ou des pistaches…Et les cochons mangeaient la même chose que nous. En fait, on mangeait presque la même chose que les volailles, les cabris, les bœufs. C’était un extraordinaire écosystème. Quand on avait fait cuire le jacque et les chouchous dans un bac, cela nous servait de goûter de quatre heures après l’école. Et c’était riche de sens et de goût. On se plaignait des fourmis rouges, qui nous piquaient. Mais elles mangent la canne à sucre, comme nous. Je me suis construit sans savoir mettre un nom à mon environnement, mais il fallait être d’accord avec la nature pour être dans la Nature. C’est ça, le durable. 

Lorsqu’en 1975 vous revenez à La Réunion, quelle est la place du maloya ?

Cette musique était tolérée, mais toujours sous l’œil du patron, du maître, du propriétaire. Á l’époque de l’esclavage, la musique permettait l’entretien de l’outil de production. Comme sur les bateaux, quand on sortait les gens de la boîte de sardine, de la cale, pour empêcher l’ankylosement, et faire danser les esclaves. Sur la plantation, on laissait aussi les noirs s’amuser un temps. Et donc, on est longtemps resté dans cet état d’esprit, avant de jouer le maloya : attendre l’autorisation du maître, des gendarmes, des autorités. Depuis 1981, en particulier, on a des droits…mais en fait, on nous autorise à chanter, on nous autorise à faire de la musique. Ce qui fait que lorsqu’on dit aujourd’hui à un artiste qu’il chante magnifiquement, et qu’il ne le ressent pas au fond de son cœur, il n’avancera pas, il ne sera pas libre.

Pour vous, le maloya, c’est d’abord le mot. Il [vous] a remis en accord avec La Réunion, avec les gens, avec la langue…

J’ai découvert le phrasé, la musique, les parties instrumentales, à l’âge de 20 ans, grâce à Firmin Viry. Mais les paraboles, les mots et les images de la terre viennent de mon enfance. Car le maloya, c’est aussi une matière appétissante, sensuelle. Le puzzle se construit ainsi, dans le partage avec les autres. Il y a une rythmique, des mots qui sonnent, une part de blues, de swing, ou plus jazzy. Il faut apprendre tout cela, cette langue qui endort les enfants. C’est de la thérapie. Et puis, se retrouver tous ensemble, autour d’un feu. Chaque fois qu’un enfant de ma famille naît, je l’accueille avec une chanson qui n’est qu’à lui. C’est du soin pour l’avenir.

DANYÈL WARO 

Monmon