LES OISEAUX DE PASSAGE

EN PLEIN VOL

PAR CHRISTIAN LARRÈDE

Á la frontière de la Colombie et du Venezuela, des amérindiens Guajiros cultivent cette feuille dentelée de la marijuana qui ravit tout un pan de la jeunesse américaine des ‘70’s. Entre honneur bafoué et coutumes ancestrales foulées au pied, mysticisme renié et avidité sans frein, la guerre des cartels peut débuter…

Chacun a son narcotrafiquant archétypal en tête (Pablo Escobar en chef de file). Mais loin de la caricature, et après L’Etreinte Du Serpent (ou la jungle vécue comme une équipée existentialiste), Ciro Guerra (il s’agit de son quatrième film) et Cristina Gallego (elle fut jusqu’à récemment sa productrice) déroulent le tapis ocre d’un désert infini, en décor de l’épopée d’une famille de pauvres paysans Wayuu, soucieuse de survivre, jusqu’au risque du trafic de drogue. L’on sait que l’histoire (en mode de western lyrique et métaphorique) se terminera mal, s’achèvera même dans un bain de sang, et que les dés sont pipés dans ce bras de fer entre la Colombie moderne (c’est-à-dire occidentalisée) et une culture d’amour et d’introspection, d’ores et déjà vouée à l’anéantissement. Divisé en cinq chants (interprétés en personnage récurrent par un berger chenu), le récit mute d’une approche ethnologique (l’exhumation des morts) à un véritable film de truands (particulièrement sanglant, et l’on peut raisonnablement évoquer The Godfather ou Scarface). Ce n’est pas là sa moindre qualité, de nous rappeler que l’intime s’accommode mal du chant des tiroirs-caisses. D’un univers autarcique surgissent alors une sensuelle danse de la mort, l’hystérie de la croissance, l’amplitude du déchirement, et un constat conclusif et pétrifié : les Indiens ne pourront se passer d’un (nouveau) monde qui, assurément, les dévorera.

LES OISEAUX DE PASSAGE

de Ciro Guerra et Cristina Gallego