AMAZING GRACE

DU FIASCO A L’EXTASE

PAR ROMAIN GROSMAN

En 1972, Aretha Franklin enregistre un album gospel dans une petite église du quartier de Watts, à Los Angeles. Filmé par Sydney Pollack pour la Warner, ce concert (et tournage) foutraque, perturbé par des problèmes techniques est aujourd’hui ressuscité sur grand écran. Un document qui éclaire la genèse d’une performance (et d’un disque) mythique.

Le 13 janvier 1972, Aretha Franklin et ses musiciens attitrés sur le label Atlantic – Cornell Dupree (guitare), Bernard Purdie (batterie), Chuck Rainey (basse) – se placent juste devant le Southern California Community Choir dirigé par le Révérend James Cleveland, référence du genre dans un classicisme assumé. Derrière le pupitre habituel du prêtre, la jeune Aretha, 29 ans, est d’abord un peu contenue, attendue par un auditoire de fidèles compactés dans une petite église de L.A.. Elle qui a débuté dans les offices de son pasteur de père à Detroit, est devenue une star au fil d’enregistrements soul, rhythm’n’blues ou jazz. L’étendu de son talent d’interprète a conquis l’Amérique, mais sa communauté veut l’entendre dans le registre sacré de ses premiers pas et de sa révélation, le gospel. Le démarrage est appliqué, mais laborieux : les cameramen se positionnent autour du groupe et des chanteurs qui se savent et se sentent filmés de près, pour un documentaire confié au grand Sydney Pollack (révélé deux ans plus tôt par On Achève Bien Les Chevaux) et de nombreux soucis techniques hachent aussi le déroulement du concert.

Pas du tout diva, plutôt timide, la jeune chanteuse est appliquée, investie. Et retrouve sans peine le naturel d’une enfance baignée dans les chants gospel. Mais tout se décante surtout le lendemain. L’ambiance est surchauffée, le public entassé et fervent. Le jeune Mick Jagger est au fond de l’église qui va vibrer comme celle des Blues Brothers. Le père d’Aretha est au premier rang. Et sa fille, relâchée, puis portée par la présence conjuguée des Révérends Cleveland et Franklin, se donne corps et âme dans des versions habitées de « What A Friend We Have In Jesus », « Mary Don’t You Weep ». Le tour de chant prend toute sa dimension lorsque les protagonistes et la salle communient.

Absence de clap pour signifier le début de chaque prise, pistes sonores désynchronisées, équipe technique qui se marche sur les pieds : rien ne va du côté du réalisateur et de ses assistants, et les chutes de ce film jugées inexploitables resteront longtemps à croupir sur des étagères. Jusqu’à ce que Sydney Pollack, en 2008, peu avant sa mort, confie les rushs au producteur Alan Elliott qui parviendra à remettre le tout à peu près d’aplomb. Amazing Grace ou l’histoire d’un ratage qui accouche, un demi-siècle plus tard, d’un formidable document (dont la sortie fut pourtant contrariée par Miss Franklin de son vivant)…

AMAZING GRACE

De Alan Elliott, réalisé par Sydney Pollack

En salles du 6 au 10 juin