SINIKKA LANGELAND – « WOLF RUNE »

Comme dans un rituel païen, au plus profond de la forêt, le kantele et la voix ensorcelante de la chanteuse norvégienne, nous conduisent à travers les sentiers sinueux des mystères ancestraux. Dans un élan très actuel de reconnexion avec la nature et les mythes originaux, antérieurs aux religions, après les catastrophes provoquées par l’industrialisation et les technocraties. L’image du loup, persécuté et condamné durant des siècles, diabolisé par la doctrine chrétienne, y devient symbole de libération.

PAR FRANCISCO CRUZ   PHOTO  MORTEN KROGVOLD – CHRISTIAN HOUGE

EN QUETE DE SENS

Ecouter et voir Sinnika Langeland, son visage serein, ses longs cheveux et sa kantele (cithare d’origine finnoise, répandue dans les régions scandinaves et baltiques) produisant des mélodies inouïes sur d’étranges progressions harmoniques, suscite l’évocation de femmes savantes, qui connaissaient les mystères de la vie naturelle. Celles qui provoquèrent l’envie meurtrière des hommes religieux, qui les accusèrent de sorcellerie, et parsemèrent l’Europe de femmes brulées. Vivantes et innocentes. C’était il y a quelques siècles, certes, et aujourd’hui les femmes persécutées sont celles qui protègent leurs enfants contre le contrôle numérique et sanitaire. Une autre idéologie, une autre technologie sont à l’œuvre, mais la même soif délirante de domination de certaines élites contre les autres humains opère.

En Scandinavie, les runes évoquent les anciennes écritures sécrètes des hommes et (surtout) des femmes initiées aux mystères de la Vie (que dans le monde contemporain occidental on sépare en naturels et surnaturels). Car, avant toute séparation, toute spécialisation, l’univers était conçu comme un multivers, une totalité infinie où tout était connecté. Les runes chantées par Sinnika («Wolf Rune», «Winter Rune», «Moose Rune»), les invocations aux énergies de la Nature («Row My Ocean», «When I Was The Forest», «The Eye Of The Blue Whale»), ou les compositions profondément spirituelles voire mystiques («I See Your Light», «Kantele Prayer»), portent en elles une autre vibration, quelque chose qui n’a rien à voir avec les principes de l’industrie culturelle, qui ouvrent des portes vers une autre conception de la création artistique, et avancent la possibilité d’une présence différente de l’artiste à l’intérieur d’une communauté humaine. Ni post-moderne, ni pré-traditionnelle, mais actuelle.

La beauté de la voix, la résonance des kanteles (de 5, 15 et 39 cordes), l’inspiration de chaque phrase, la respiration sereine inscrite dans chaque intervalle, font de cette évocation du loup une sorte d’appel, une invitation à une profonde méditation sur l’état de notre société et du sens de notre présence-dans-ce-monde. Lumineux.

SINNIKA LANGELAND
Wolf Rune
(ECM/Universal)