SHADI FATHI & BIJAN CHEMIRANI – « AWAT »

Depuis la contre-révolution des ayatollahs, et malgré l’ouverture du marché de la world music il y a trente ans, il est difficile d’avoir une vision fidèle de ce que pourrait être l’actualité musicale dans le monde persan. Il nous reste heureusement la possibilité de découvrir épisodiquement des joyaux crées par la diaspora, et ce des deux côtés de l’Atlantique Nord. Le dernier épisode en date nous vient de ce magnifique album, fruit de la rencontre de deux artistes dans la plénitude de leur évolution…

PAR FRANCISCO CRUZ

ECHOS DU MONDE PERSAN – AU DELA DU SILENCE

Dans le chapitre des meilleurs artistes acoustiques apportés par la diaspora extra européenne en France, la famille Chemirani est un cas d’exception. Le maître ès zarb, Djamchid, et ses fils Keyvan et Bijan, constituent un trident musical de grande qualité et, chacun de leurs projets individuels est marqué par une exigence artistique rare. C’est une nouvelle fois le cas pour Awat (Grand Désir), composé, arrangé et joué par le duo Shadi Fathi et Bijan Chemirani ; elle est au setâr, au daf et au chant, lui au zarb, au saz et au daf. L’album, enregistré entre la fin 2021 et le début 2022 – dans les conditions abusives de distanciation imposée que l’on sait -, compte sur la complicité de Shervin Mohajer au kamantcheh (enregistré en Iran), Redi Hasa au violoncelle (enregistré en Italie) et Sylvain Barou aux flûtes (bansuri, duduk, zurna, kaval, neyanban, garda), qui officie également comme ingénieur du son.

Parmi les seize morceaux de l’album, cinq intègrent des poèmes persans écrits par Omar Khayyâm, Sohrab Sepehri, Houshang Ebtehaj et Mowlana Rûmi. Il y a des duos de percussion et flûte bansuri, de duduk et setâr, des chorus de percussion brillamment improvisés et des morceaux joués collectivement avec beaucoup d’inspiration. La voix de Shadi Fathi, récitante ici, chantante là, incarne la poésie et la rend charnelle et émouvante. La finesse de la frappe et la subtile flexibilité du tempo lors de figures rythmiques endiablées accentuent la dimension mélodique du zarb. La beauté du son apparaît là où on la trouve rarement et la sophistication du ton devient transparente, sans faux semblants.

Awat résonne comme une suite, avec des attributs analogues et des nuances distinctives, de l’album Hâl – Ballades Amoureuses (2021) – un autre enregistrement magnifique passé sous silence dans une ambiance de peurs et de menaces -, avec les frères Chemirani accompagnant leur sœur Maryam dans une superbe interprétation vocale. La belle musique se joue (souvent) en famille.

SHADI FATHI & BIJAN CHEMIRANI
Awât
(Buda Musique)