NINA SIMONE – « NINA’S BLUES/1959-1962 »

Refusée par le pouvoir blanc à un parcours de concertiste classique (une anecdote sujette à caution), Eunice Kathleen Waymon se consacre alors à l’univers du jazz. Un fort coffret et une biographie rappellent ce que la musique afro-américaine y a gagné. 

PAR CHRISTIAN LARREDE

Elle fut hautement impressionnée par la prestation de Simone Signoret dans Casque d’Or  et lui chipa son prénom. Mais l’analogie, dans sa fréquentation de lieux mal famés à clientèle trouble, et par une personnalité fantasque mais conquérante, va plus loin qu’un simple étiquetage, pour une artiste qui se battit toute sa carrière durant pour obtenir son autonomie financière et artistique.

L’éditeur Frémeaux nous le rappelle ici, qui remet, éclairé par les notes d’Olivier Julien comme autant de guides de l’entreprise, de l’ordre chronologique dans les sept premiers albums de la dame en 70 plages (y adjoignant, cerises sur le gâteau, sept refrains uniquement éditées en 45 tours, le tout remarquablement remastérisé). On pourra être de prime abord satisfait de retrouver ici la bien connue version de « My Baby Just Cares For Me », ou du plus modeste succès « Little Girl Blue », mais les authentiques merveilles sont à dénicher ailleurs : dans la bouleversante profondeur du chant, dans ses visites de l’univers du Duke (Nina Sings Ellington), et dans cette atmosphère dramatique dont était coutumière la jeune femme, alors simplement âgée de 26 ans. Éclate également au grand jour, si besoin était, la capacité de la chanteuse et pianiste à dérouler ses qualités de femme de spectacle, et les ponts en permanence jetés entre la musique savante européenne et le jazz. Trois albums indispensables.

L’ouvrage de Frédéric Adrian (journaliste et auparavant directeur de la publication du bien nommé Soul Bag) aurait pu être œuvre de fiction, tant cette forme, avec ses nuances épiques et picaresques, convient au parcours heurté, excessif et déchiré de Nina Simone. Ces 240 pages permettent également de se souvenir que l’artiste fut militante des droits civiques, chanteuse pas favorisée par le sort et ses coups, et être humain à santé psychologique fragile, certainement en conséquence directe de son parcours. Des états américains du Sud à la planète, nous suivons ici une jazzwoman parfois mythomane, mais toujours bouleversante et attachante. Entre la réalité et la légende (son passage par La Juilliard School – conservatoire supérieur privé de musique – n’aurait duré que quelques semaines), Frédéric Adrian, fort d’une somme impressionnante d’archives et autres documents d’époque, et comme il l’a pratiqué dans d’autres ouvrages consacrés à Ray Charles ou Marvin Gaye, choisit d’imprimer la réalité. Cela en dit long sur le respect qu’il reconnait à l’artiste, et sur la reconnaissance, dans ses contradictions et autres errements, que l’on se doit de vouer à Nina Simone.

FREDERIC ADRIAN

Nina Simone

Editions Le Mot et le Reste, 240 pages, 20 euros

 

 

 

 

NINA SIMONE

Nina’s Blues/1959-1962

(Frémeaux & Associés)