LUCAS SANTTANA – « O PARAISO »

Il est ici ? Oui ! Ne continuez pas d’aller le chercher ailleurs, et ne poursuivez pas sa destruction. Le paradis, la beauté qui se conjugue avec le bonheur, est en vous et autour de vous, tandis que les religions le catapultent loin de la réalité et les agents du capitalisme ultra libéral n’ont de cesse de le détruire. Dans une ligne de pensée, de ressenti, semblable à la nôtre, le chanteur brésilien fait danser ses idées sur son neuvième album, réalisé pour la première fois à Paris et avec des musiciens français. 

PAR FRANCISCO CRUZ

Bien difficile de dire si c’est l’album le plus abouti de Lucas Santtana, mais c’est certainement l’un de ses enregistrements les plus équilibrés. Plus accessible, sans rien perdre de son engagement lucide, légèrement métaphorique sans ignorer une dimension poétique. En compagnie de musiciens de culture musicale européenne, le son est plus ouvert, dans une nouvelle mixture différente aux métissages afro-indo-brésiliens. 

La voix de Santtana s’est subtilement rapprochée de celle de Caetano Veloso, et les arrangements avoisinent ceux produits par Arto Lindsay dans ses albums les plus tropicaux. Ce sont les (heureux) retours de la mémoire, dans la musique de ce fils culturel du Tropicalisme (son père fut producteur de Gilberto Gil, de Caetano Veloso et de Tom Zé), frère musical de Naçao Zumbi dans la sensibilité mangue beat conceptualisée par Chico Science. A cette occasion, il est accompagné des chanteuses Flore Benguigui et Flavia Coelho, et des musiciens aussi connus (et sensibles aux sons nordestins) que le percussionniste Zé Luis Nascimento, le pianiste Fred Soulard et le violoncelliste Vincent Segal.

O Paraiso s’entend comme un doux mélange de musiques brésiliennes, avec des insertions électroniques et des escapades vers le jazz. Pour mieux faire circuler une écriture engagée, qui reflète avec une bonne dose d’humour, une critique nette à l’égard du consumérisme banalisé et de l’avidité financière érigés comme modèles dans nos sociétés mondialisées, apeurées par des épidémies et une manipulation dirigée des idées. Pour la spécificité brésilienne, cet album est aussi une invitation à surpasser les cris d’alerte (souvent impuissants) concernant la destruction accélérée de l’Amazonie (et de ses habitants aborigènes) déclenchée par le précédent gouvernement : Santtana préconise une écoute de la nature, un dépassement de la technocratie, un retour à la sagesse des chamans, au lieu de s’abandonner au commerce cynique des consortiums politico-financiers. 

Ce neuvième album du bahianais n’est pas une suite de protest songs, dans le sens militant de jadis, mais une invitation à la transformation de l’humain, qui reformule encore une fois la question fondamentale : voulons-nous vivre dans le monde infernal de guerre et destruction qu’on nous impose, ou avons-nous le courage d’œuvrer dans le sens de sa transformation en terre de résilience, de bienveillance et de solidarité partagées ?

La réponse pourrait décevoir. Ce serait aux minorités conscientes de relever le défi (immense) et aux autres d’assumer la responsabilité des conséquences (catastrophiques) de leur choix.

Pour l’instant, ne nous privons pas du plaisir d’écouter O Paraiso, de s’y abandonner, de danser et de faire résonner ses notes et paroles dans notre esprit.    

 

LUCAS SANTTANA

O Paraiso

(No Format)

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