Il y a plus de 20 ans, nous célébrions le premier album (Borboreo) du guitariste flamenco de ce côté des Pyrénées. Depuis, Juan Carmona, héritier de la tradition andalouse et de la sémillante famille des Carmona, a beaucoup enregistré, publié et joué de par le monde, de nombreux disques aux qualités diverses. II offre ici le plus lumineux et accompli de ces derniers enregistrements, inspiré par la figure immense de Zyriab, musicien perse d’un temps lointain qui a fait du son méditerranéen un univers musical inépuisable.
PAR FRANCISCO CRUZ
Zyriab 6.7 est un album chargé de symboles. Depuis la disparition de Paco de Lucia, Juan Carmona s’impose comme l’un des plus brillants guitaristes flamencos, dont la cohérence des projets lui a valu la reconnaissance de ses pairs andalous et fait gagner divers prix internationaux, dont le Zyriab des Virtuoses. Cet album suit les traces du génial musicien perse (aujourd’hui on dirait irakien), né à Mosoul, qui étudia à Bagdad, parcouru et vécu dans diverses régions des deux côtés de la Méditerranée, assimilant et combinant les traditions et les différentes cultures musicales, pour créer le son arabo-andalou. C’était au IXe siècle, sommet de la culture de l’Al-Andalus, et Zyriab fut accueilli à Cordoue avec les honneurs réservés aux plus grands artistes.
Le 6.7 n’est pas une connexion électro-numérique, mais fait référence aux 6743 kilomètres qui séparaient Bagdad de Cordoue, suivant l’itinéraire emprunté par Zyriab. Juan Carmona refait ce chemin symboliquement en invitant des musiciens de toutes ces régions, pour donner vie à un album aux multiples nuances de couleurs vives et chargé d’histoire, d’amours et de luttes humaines pour la liberté. Si son premier album fut un sacré défi en solitaire, ce dernier est le plus largement habité par une communauté de musiciens : on y retrouve parmi eux le trompettiste libanais Ibrahim Maalouf, le oudiste palestinien Wissam Joubran, Bijan Chemirani au saz et au zarb iranien, le Istanbul String de Turquie, le pianiste espagnol Dorantes, le virtuose de ney Rachid Zeroual, les chanteurs andalous Duquende et El Pele, les percussionnistes flamenco Isidro Suarez et Ana Carrasco, l’oudiste irakien Naseer Shamma, les chanteurs Nadir Benmansour, Youba Adjrad…
Zyriab 6.7 est artistiquement le plus ambitieux projet de Juan Carmona et le plus brillamment réalisé. Par ce temps chargé d’intolérance, de persécution et de violence étatique, célébrer Zyriab est un autre acte de résistance. Contre l’ignorance et la soumission.
JUAN CARMONA
Zyriab 6.7
(Nomades Kultur/L’Autre Distribution)
