BÜSRA KAYIKÇI – « PLACES »

Durant la période du solstice d’hiver, les « cadeaux » arrivent d’où on les attend le moins. Magicien(ne), qui aurait prédit la réapparition soudaine de cette pianiste turque (résidente en Allemagne), resplendissante comme une aurore stanbouliote, dans le paysage « néo-classique » actuel. Cet album, voyage solitaire dessiné avec finesse et légèreté, est l’une des belles découvertes de l’année écoulée.…

PAR FRANCISCO CRUZ   PHOTO SEYMA TUNA

 Tandis que la plupart des labels inventent des coffrets et autres packagings, rééditant autrement les trésors musicaux – ou les succès commerciaux – de leurs catalogues, des pépites précieuses ressortent du silence pour chanter de belles et inédites mélodies. Places, de la pianiste turque en est une. Elle poursuit son travail de recherche de structures soniques initié avec Eskizier (2019) passé sous le silence pandémique assourdissant imposé juste après. Superbement composé, construit comme une délicate pièce architecturale, toujours à la recherche d’équilibres improbables, où la beauté doit composer avec l’efficacité du geste, du motif, de la texture, du relief, du vide spatial et du silence.

La pianiste déclare « en écoutant une musique, nous voyageons d’un endroit et d’une époque à une autre. Lorsqu’une mélodie vous touche profondément, elle peut vous emmener dans un lieu par votre esprit ».

Ces Places ne se référent pas forcément à des lieux physiques, mais plutôt à des espaces émotionnels, des zones intérieures où se déploient les états de l’âme, des accidents et événements spirituels (ou psychiques). Une certaine nostalgie, un sentiment de déracinement, des séquelles profondes laissés par les exils… la sensation de vivre au milieu de nulle part. C’est ainsi que l’ « architecture intérieure » de Büsra Kayikçi commence (in) « The Middle Of… » et se ferme par un éloquent « …Nowhere ». Campement de réfugiés ou oasis exubérante entre les dunes du désert, le parcours change selon les ambiances, ainsi que le tempo, la vitesse ou l’intensité de la traversée.

Ici et là, la compositrice et pianiste évoque un champs d’oliviers, invoque des amitiés d’hier, ressent le parfum du bois, mais aussi rend hommage à la chanson égyptienne, genre très populaire dans le monde arabe et turc musulman, qu’elle et ses ancêtres ont écouté à loisir. Dans Places on entend le toucher agile, la phrase limpide, l’intervalle juste, certaines cadences qui rappellent Bach et Debussy, ou Jarrett, ou même Enaudi, et autres modes qui suggèrent des souvenirs anatoliens ou ottomans.

Le genre de musique que les puristes du classement n’aiment guère, et les technocrates du marketing non plus. Espérons qu’il parviendra auprès d’oreilles ouvertes, de mélomanes dépourvus de préjugés et réfractaires aux clichés. Ce serait juste et bienheureux.

BÜSRA KAYIKÇI

Places

(Parlophone/Warner)