La nostalgie a de l’avenir. Les artistes des années 70-80 rassemblent encore aujourd’hui un public accroc à ses meilleurs souvenirs. Souvenirs d’un temps (largement) révolu, où le lien de chacun à une chanson, un album, un concert, s’entretenait sur la durée.
PAR ROMAIN GROSMAN
LA MACHINE A REMONTER LE TEMPS
Les Blackbyrds ne comptaient plus, en ce soir d’octobre, que deux membres originaux. Keith Killigo (batterie) et Joe Hall (basse), une rythmique fondamentale pour poser les bases d’un groupe créé dans les années 70 par le trompettiste Donald Byrd, figure du jazz moderne, enseignant en ethnomusicologie à la Howard Université de Washington, converti au groove d’une musique alors en pleine évolution que lui et quelques autres (à commencer par Miles Davis, mais aussi Herbie Hancock) décidèrent d’incarner au cœur d’une époque où la communauté afro-américaine s’affranchissait de ses assignations pour profiter pleinement d’une liberté reconquise dans les années 70. Donald Byrd enjoint alors ses élèves de mettre leur savoir-faire au service d’un son funky, largement instrumental, libérateur, pour une poignée de disques gravés entre 1974 et 1980, aujourd’hui prisés des crate-diggers, sources de samples pour Big Dady Kane, Gang Starr, Massive Attack… Un demi-siècle plus tard, cette musique rappelle les bandes-son des films et séries de cette décennie à la cool, où l’insouciance, les rencontres, la danse, la liberté, engrenaient une génération sur les dancefloors, sur les platines, dans les auto-radios… Une vibe un peu surannée en 2023, en pleine révision de tous nos acquis, de toutes les émancipations sociétales. Bref, un soir de kiff, bon à prendre, le temps de se replonger dans « Walking In Rhythm », « Happy Music », avec tolérance pour un groupe porté par son feeling.
Contexte différent, mais même ressort pour la venue de Bill LaBounty, personnage atypique, héro éphémère de la scène soul-rock des 80’s, homme de studio, auteur-compositeur en vogue avec cinq-six albums qui tournaient en boucle chez les fans de Steely Dan. Même vibe. En 1991, lors de sa première venue à Paris, La Cigale, pleine, avait surpris le chanteur-pianiste, touchant par sa timidité, et emporté par l’enthousiasme d’un public qui connaissait ses chansons par cœur. Pas toutes, mais presque. Trente ans plus tard, on retrouve les mêmes dans un New Morning rempli deux soirs de suite par des fidèles grisonnants, mais toujours prêts à se replonger dans leurs belles années. Bill LaBounty n’a jamais été un grand chanteur, et plus d’une fois, sa voix hésitante flirte avec le « hors-chant ». Le groupe français (Dr. Wu) assure, au soutien. On est venu réécouter une millième fois les « Livin’ It Up », « Look Who’s Lonely Now », qui passaient en boucle sur la bande-fm naissante dans les 80’s. Peu importe les approximations, la nostalgie c’est aussi une vraie machine à (tout) pardonner.
THE BLACKBYRDS, 17 octobre, Paris (New Morning)
BILL LA BOUNTY, 7 décembre, Paris (New Morning)