« LA GRAN DIVERSION N’EST PAS BUENA VISTA,
DEUXIEME PARTIE »
Devenu en dix ans le plus populaire des musiciens cubains sur les scènes françaises, Roberto Fonseca fut le dernier pianiste à s’y produire avant le scandale Covid. Il est aussi le premier à y revenir, pour enregistrer et présenter La Gran Diversion – à l’Olympia et ailleurs -, un dernier album aux parfums nostalgiques et identitaires. Dans cette absence notoire de musiciens cubains par ici depuis trois ans, Roberto Fonseca fait figure de survivant.…
PAR FRANCISCO CRUZ
RETOUR VERS LE FUTUR
C’est sans doute un plaisir pour les amateurs de musique cubaine de vous voir revenir en France. Avant les confinements, on vous avait écouté avec des jeunes musiciens cubains à La Fabrica de las Artes de La Havane et avec DJ Clausell à la Cigale parisienne, dans des projets électroniques. C’est donc une surprise de vous retrouver dans cette Gran Diversion musicale, qui nous renvoie cent ans en arrière, avec un son qui évoque une époque où la musique populaire cubaine faisait danser dans les clubs les plus réputés du monde.
Après tant d’années de concerts et d’enregistrements, je sentais le besoin de jouer une musique qui m’identifie et par laquelle le public puisse aisément reconnaitre mes origines. Jusqu’à très peu, j’étais satisfait que l’on m’entende comme un musicien qui rompt des schémas, comme un novateur. Pourtant, dans ce temps de silence et d’enfermement de la période covid, j’ai ressenti le désir que l’on me perçoive avant tout comme un musicien cubain. Et pour cela, il était indispensable de m’immerger dans la musique traditionnelle cubaine. Et dans ce registre, ce que j’aime le plus, c’est le son montuno.
J’ai pris conscience que l’espace que le Buena Vista Social Club avait occupé dans ma vie durant de longues années était vide, donc disponible. En moi et en dehors de moi. Depuis l’arrêt du collectif Buena Vista, plusieurs groupes ont essayé de reprendre ce répertoire de musique traditionnelle, mais par simple intérêt commercial. Alors, j’ai ressenti le besoin de créer un nouveau projet personnel dans ce registre, pour offrir au public une approche à la fois exigeante et créative de la musique traditionnelle avec l’empreinte de Roberto Fonseca, et pas seulement une copie de Machito, de Pérez Prado ou de Benny Moré.
Toutefois, je ne veux pas qu’on me catalogue comme un continuateur de Buena Vista. Il est certain qu’on va toujours m’y associer, du fait que j’y avais remplacé Rubén Gonzalez, que j’y ait éré le directeur musical d’Ibrahim Ferrer, puis d’Omara Portuondo. Mais non, La Gran Diversionn’est pas Buena Vista deuxième partie. Ce sont des musiques inédites traitées avec la spiritualité et la sonorité des années 30-40.
Cet été, à Fontainebleau, vous étiez l’artiste principal, du Festival Django Reihnardt, et vous y avez présenté une sorte d’avant-première de La Gran Diversion. Plutôt décevant pour certains, par le répertoire, les orchestrations et la mise sur scène, et ce malgré votre jeu toujours aussi spectaculaire. Dans ce concert, vous aviez joué des musiques du répertoire traditionnel, et pas seulement des inédits.
J’ai joué une seule reprise, « No Me Llores Mas », l’un des thèmes fétiches du Buena Vista Social Club. Pour jouer une musique aux sonorités traditionnelles, je dois montrer d’où vient cette connexion avec la musique traditionnelle. Alors, inévitablement, je passe par ce thème parce que Buena Vista a été pour moi une véritable école de musique traditionnelle. Ma principale motivation pour jouer tant d’années dans Buena Vista fut l’apprentissage de ce répertoire, et m’imprégner de l’esprit de cette époque ancienne.
Pourquoi ce thème et pas un autre ?
Ce morceau est le premier que j’ai enregistré avec Buena Vista Social Club, pour le disque de Guajiro Mirabal. C’est là que j’ai compris que je connaissais assez peu la musique traditionnelle et que devais en apprendre davantage pour être au bon niveau dans cet orchestre. Car à cette époque, j’étais très influencé par le jazz, la soul et le hip hop. Et me suis retrouvé soudain en studio pour enregistrer des compositions d’Arsenio Rodriguez dont « No Me Llores Mas ». C’est là, en réécoutant les enregistrements de l’orchestre d’Arsenio que j’ai découvert le grand pianiste Lili Martinez. En écoutant ce morceau on peut comprendre que je ne le joue pas pour des raisons de marketing. Sinon, j’aurais repris « Chan Chan », la plus populaire des reprises jouées par Buena Vista.
C’est donc plus un hommage au pianiste Lili Martinez…
Oui, c’est tout à fait ça. Comme je viens de le dire en concert pour la énième fois, ce thème a changé ma vie. Il y a 20 ans, j’avais demandé à écouter tous les disques d’Arsenio Rodriguez, tellement j’étais impressionné par le jeu pianistique de Martinez, dont le solo de 10 secondes sur « No Me Llores Mas » est un moment d’anthologie.
Parmi vos compositions, on remarque « Mercedes ». Un thème dédié à votre mère ou à l’ancienne chanteuse Merceditas Valdés ?
Non, rien à voir avec la chanteuse, que je respecte énormément d’ailleurs. Cette Mercedes, c’est ma mère, qui incarne ici à toutes les personnes qui aident les jeunes à réaliser leurs rêves. Il se trouve qu’adolescent, j’étais très indiscipliné et que je faisais souvent l’école buissonnière, pour sortir avec des copains. Alors, ma professeure de musique avait menacé de m’expulser de sa classe. Ma mère avait pris l’initiative d’aller lui demander de me donner une dernière opportunité. La professeure lui avait répondu qu’elle perdait son temps, que je ne serai jamais musicien, encore moins pianiste…
Pourtant ma mère m’a soutenu contre tous, et c’est grâce à elle que je peux jouer pour vous maintenant.
Dans ce nouvel album, on retrouve des musiciens qui n’avaient pas joué dans vos disques précédents, comme le percussionniste Inor Sotolongo, cubain résident à Paris, et la violoniste afro-américaine Regina Carter. Le disque a été enregistré à La Havane, à Meudon, près de Paris et aux Etats Unis. Dans quel ordre ?
J’ai a enregistré les basses et le piano au studio Ojala de La Havane, car dans ce petit studio, il y a un piano magnifique. Puis on a fait les percussions à Meudon. Ensuite, Regina (Carter) a enregistré la partie de violon aux Etats-Unis et nous a envoyé les fichiers.
La nouvelle tournée qui s’annonce pour le début 2024, aura-t-elle la même mise en scène qu’à Fontainebleau, ou on doit s’attendre à des modifications ?
C’est la grande bataille que l’on doit mener pour convaincre les producteurs de payer et de réussir à faire venir tous les musiciens. Après le Covid, le prix des billets de Cuba vers les pays européens a doublé. Néanmoins, je suis ouvert à intégrer de nouveaux musiciens, car ils peuvent aussi apporter d’autres perspectives et enrichir le son du groupe. Dans mon orchestre, je ne demanderai jamais à un musicien de jouer comme son prédécesseur !
Comment avez-vous traversé le temps d’enfermement « pandémique »? Etiez-vous à Cuba ou en Europe ?
J’étais à Cuba et j’ai vécu une grande déception. J’étais choqué par le fait que dans cette période, les frontières sont restées fermées pour les cubains de Cuba, mais perméables pour les cubains avec une résidence à l’étranger et pour les voyageurs d’autres pays. Nous restions enfermés, sans pouvoir voyager. Moi, j’avais un concert à La Villette et, même avec un visa émis par l’Ambassade de France, je n’ai pas pu prendre l’avion et j’ai été obligé d’annuler le rendez-vous. La gestion de cette période spéciale m’a laissé perplexe, empli de doutes et de soupçons et, pour être le plus délicat possible, m’a paru loin d’être une gestion intelligente. Désormais, je pense sérieusement à prendre une résidence temporaire à l’étranger.
L’enfermement a –t-il été un moment propice pour l’écriture de nouvelles compositions ?
Je n’ai pas écri plus que d’habitude, mais c’est à cette période que j’ai commencé à composer La Gran Diversion. Qui est le fruit d’une réflexion profonde sur mon rôle de compositeur et d’interprète. Même contre l’avis de gens qui me disaient « la musique traditionnelle cubaine n’intéresse plus personne », je suis convaincu que c’est le disque que je devais faire.
Ce disque va sûrement plaire à une grande majorité du public français amateur de musique cubaine ; plus qu’un disque électro, hip hop ou même de jazz cubain.
La France a été le premier pays européen a m’ouvrir les portes et à accueillir avec enthousiasme ma musique. Et la France a aussi été, il y a cent ans, le pays qui a le mieux accueilli la musique populaire cubaine de l’époque, notamment à Montmartre, où se produisaient de nombreux musiciens cubains. La Grande Diversion est aussi imprégnée de l’esprit de cette époque. A l’inverse, les meilleurs cabarets et salons de musique à La Havane avaient de noms français. Le Cabaret Montmartre par exemple…
ROBERTO FONSECA
La Gran Diversion
(Wagram)
01.02.24 FESTIVAL DE JAZZ DU BLEU EN HIVER BRIVE (19);
02.02.24 METRONUM TOULOUSE (31); 03.02.24 LE 106 ROUEN (76)