A la suite de deux concerts à guichets fermés à Paris (aux Bouffes du Nord), et à la veille d’une dernière visite à Bayonne (au Théâtre Michel Portal), suivie d’une tournée au Japon, on découvre le dernier voyage sonore de la plus poète des chanteuses hispaniques. Un long parcours sur le sentier sinueux d’une vie, l’espace d’un jour de concert, le temps d’un album. Un voyage à refaire mille et une fois.
PAR FRANCISCO CRUZ PHOTO ALEX RADEMAKERS
UN DISQUE COMME UN INSTANT DE VIE
Il aura fallu plus de dix ans, toute une vie (ou presque !), pour que le public français apprécie à sa juste mesure la richesse poétique inscrite dans les recherches musicales de la chanteuse, auteure et compositrice espagnole. Certainement à cause de la logique absurde de la distribution commerciale de la musique. L’Espagne n’est pas loin, n’est pas un lieu exotique aux confins de la planète. Pourtant, les nombreux albums (9) de Silvia Pérez Cruz ont souffert d’une présence aléatoire dans nos bacs, ou ont été simplement ignorés, de ce coté des Pyrénées. Toda La Vida, Un Dia (Toute la vie, un jour) a été publié il y a un an en Espagne, par un label international. Il n’est pas distribué en France. Une situation incompréhensible.
Ce fut pendant la période des confinements, face aux perspectives incertaines ou alarmantes, que Silvia Pérez Cruz a ressenti elle aussi le besoin de « réinventer » sa vie. Certains, plus âgés, l’on fait en écrivant des livres, d’autres en peignant des tableaux ; elle a voulu réaliser ce projet vital en un seul album. Circulaire et inclusif. Pour ce faire, elle a voulu aller, traversant les frontières et défiant les interdictions, à la rencontre des amis musiciens du monde. Ce fut le début de ce qui est devenu Toda La Vida, Un Dia, enregistré par étapes, un an durant ; en Espagne, à Pontós, Madrid, Jerez, Barcelone (avec Carmen Linares, Pepe Habichuela, Salvador Sobral ), à Coatepec (Mexique) avec Natalia Lafourcade, à Buenos Aires (Argentine) avec Liliana Herreros et Juan Quintero, et aussi à La Havane (Cuba), en compagnie de jeunes musiciens inconnus en France.
A la sortie, Silvia Pérez Cruz offre une œuvre majeure, probablement la plus saisissante de sa discographie, structurée en cinq mouvements, pour 21 chansons jouées par 90 musiciens ! Elle s’en explique : « Chacun des cinq mouvements représente une étape : l’enfance, la jeunesse, la maturité, la vieillesse et la renaissance. Parce que j’ai voulu que ce soit circulaire, c’est pourquoi la pochette est un cercle et c’est pourquoi j’ai voulu terminer par une berceuse ».
Pensait-elle que nous étions arrivés à la fin d’un cycle ? Que l’homme dans sa stupidité millénaire était parvenu au seuil de sa destruction absolue? Heureusement, Silvia Pérez Cruz a eu recours à la poésie et à la musique pour conjurer ses pensées les plus tristes, et pour célébrer les plus joyeuses, rassemblées dans la mémoire de ses quarante années sur terre. La mémoire… une dimension essentielle quand la proximité de la mort devient plus pressante qu’une variation dans le cycle naturel de la vie. N’oublions pas, donc, que Silvia Pérez Cruz est une artiste au sens large.
Compositrice et chanteuse elle intervient aussi dans le monde du cinéma, du théâtre et de la danse. Notamment, avec les chorégraphes et danseuses Rafaela Carrasco et Rocio Molina. Elle a signé aussi les bandes originales des films Blanca Nieves et Josep, deux succès de critique et de public en Espagne. Dans la monde de la musique, elle a partagé des enregistrements et concerts avec l’uruguayen Jorge Drexler, la mexicaine Lila Downs, les brésiliens Hamilton de Holanda et Toquinho, les espagnols Javier Colina, Raul Refree et Joan Manuel Serrat, le jazzman italien Stefano Bollani, entre autres.
Réjouissons-nous de sa renaissance.
SILVIA PEREZ CRUZ
Toda La Vida, Un Dia
(Import)