Après un captivant hommage à Astor Piazzolla – référence incontournable dans son approche personnelle du tango -, la bandonéoniste et compositrice française dévoile son nouveau Jeu, mettant en scène des compositeurs classiques qui appartiennent au cercle intime de ses influences majeures. Par un jeu exquis d’arrangements, les uns plus séduisants que les autres. Pour ouvrir davantage le spectre et les résonances possibles du bandonéon.
PAR FRANCISCO CRUZ
Dans le bandonéon de Louise Jallu dansent désormais Maurice Ravel et Robert Schumann, Claude Debussy et Franz Schubert, Jean-Sebastian Bach et Fritz Kreisler, mais aussi Arnold Schönberg et Alban Berg. Du baroque, du romantisme et de la musique contemporaine européenne, entrainés au rythme d’une milonga, il fallait de l’audace. Et Louise Jallu n’en manque pas.
Après avoir mises en musique ses déclarations d’amour au tango – au classique et au Nuevo tango -, elle joue les infidèles et s’aventure en effet ici avec passion sur les pas de danse, intense et capricieuse, de la milonga, cousine sophistiquée – et selon certains plus complexe – du tango. Dans ce nouvel opus de la native de Gennevilliers, élève aussi brillante qu’iconoclaste des maîtres argentins Mosalini et Beytelman, c’est la milonga qui occupe le centre de l’attention et joue le rôle principal.
Compositrice inspirée, Louise Jallu ne se limite pas à jouer la musique des autres. « Une Milonga en Blues » et « La Milonga Transfigurée » font voyager de Shönberg à Mingus, tandis que « Une Milonga en Mi » (la note musicale mais aussi le moi) révèle la sirène, féminine et libre ; Jallu au sommet et au creux des vagues, qui ne sont pas tendance mais révélation de l’esprit prêt à annoncer son boléro à elle. Par ces temps tendus, (olympiquement) néfastes, où résonnent le bruit assourdissant d’une répression qui monte, les sirènes de police empruntées par la bandonéoniste pour illustrer « Pugnani-Jallu » renvoient au temps présent, tous ceux qui auront tendance à voyager dans les rêves du passé.
Aujourd’hui, quand sa musique traverse les frontières françaises pour se révéler aux oreilles lointaines, quand les tournées se prolongent vers les confins européens, Louise Jallu se rappelle aussi de ses débuts, évoque les images souriantes de ces musiciens venus d’ailleurs fuyant la terreur militaire pour transmettre aux jeunes des banlieues parisiennes le goût pour la musique argentine. Et son bandonéon chante « A Gennevilliers, Toujours ».
Dans ce jeu d’équilibres, Louise Jallu n’est pas seule. Son équipe compte sur les tambours et les cymbales d’Ariel Tessier, les touches bicolores de Grégoire Letouvet, les cordes basses d’Alexandre Perrot, les médium électriques de Karsten Hochaptel et les aigües de Mathias Lévy. Ensemble ils font naître un rayon de lumière dans un espace sombre, une belle mélodie au milieu du tumulte. Le public reconnaissant, sourit.
LOUISE JALLU
Jeu
(Klarthe)