C’est par une écriture agile et une structuration dynamique de son texte, très documenté, que l’auteur (Christophe Delbrouck) conduit une approche juste et libre de préjugés de l’histoire d’un des groupes les plus créatifs et cultes de la pop music américaine. Steely Dan, dont le son intégrait le jazz au rock, dans une démarche aux antipodes du formatage commercial imposé par l’industrie musicale. Ce qui lui aura longtemps valu une forme de négligence de la part des éditeurs et de dédain des médias, autant que la reconnaissance des musiciens. Un parcours fascinant à redécouvrir.
PAR FRANCISCO CRUZ
UNE REUSSITE ARTISTIQUE, SANS CONCESSION
Au début des années 90, le soul singer brésilien Ed Motta militait avec enthousiasme pour que l’on s’empresse de réécouter Steely Dan. Un groupe qui de son propre aveu était sa principale source d’influence. Le groupe fondé par les new-yorkais Donald Fagen et Walter Becker était l’inventeur d’une musique pop intelligente, cultivée et sophistiquée, mais aussi agréable à l’écoute. Des caractéristiques assez rares dans la production musicale « populaire » destinée à se vendre au plus grand nombre.
Malgré les conseils ou les pressions de producteurs, admiratifs de leur musique ou indifférents et occupés seulement par la rentabilité financière, Steely Dan est toujours resté fidèle à ses principes esthétiques et n’a rien cédé pour se rendre sympathique des publics mainstream ou pour obtenir le soutien des moyens de diffusion. Musiciens pour musiciens, Donald Fagen et Walter Becker revendiquaient l’influence fondamentale du jazz, adoraient jouer avec des jazzmen et intégrer des séquences improvisées dans leur musique. Ouverts dans diverses directions, incorporaient de la soul et du funk, de rythmes latins et autres éléments selon leur libre inspiration. Sans se soucier des tendances, et sans prétendre être dans aucune avant-garde. Critiques lucides de la société américaine, mais loin des protest songs, ils préféraient tourner en dérision les fantasmes de l’Américain Way of Life. Ce qui ne les empêcha nullement de prendre position contre Richard Nixon au début des seventies et, plus proche de nous, contre Donald Trump…
Intelligemment, l’auteur Christophe Delbrouck divise l’histoire de Steely Dan en huit époques, depuis la naissance de Donald Fagen (le leader naturel, compositeur et pianiste) à la publication du dernier album en solo de celui-ci et du dernier live du groupe. L’ouvrage met en relief le travail artistique de ces musiciens et en parallèle la politique consumériste des multinationales du disque. Richement documenté (travail fondamental de Guillaume Forléo selon l’auteur), l’histoire de Steely Dan est éclairée par des témoignages directs et des interviews des protagonistes principaux et des multiples musiciens ayant participé aux enregistrements et aux tournées du groupe, ou par ceux qui reconnaissent son influence dans leur propre processus de création. On aurait juste apprécié l’intégration d’une iconographie plus riche du groupe tout au long de ces différentes époques.
Très loin du star system, le duo Donald Fagen-Walter Becker a toujours su s’entourer de musiciens de haut niveau, enregistrant et tournant aux Etats-Unis et dans le monde avec des invités de marque. De Wayne Shorter à Joni Mitchell, en passant par Jeff Porcaro, Michel McDonald et David Sanborn, Larry Carlton, Ricky Lee Jones et Luciana Souza, des dizaines de jazzmen et de pointures de séances rock de studio ont voulu participer à la vingtaine d’enregistrements qui jalonnent la vie musicale de Steely Dan.
CHRISTOPHE DELBROUCK
Steely Dan
Editions du Layeur, 360 pages, 24 €