OSCAR MARTINEZ – « LES MORTS ET LE JOURNALISTE »

Il y a eu les enfers des dictatures locales et régionales qui s’attaquaient aux opposants politiques, et ceux des guerres transnationales qui condamnèrent la vie de gens innocents. Bien plus concrets que les enfers promis par des religions punitives et castratrices. Notre confrère salvadorien Oscar Martinez nous parle de l’enfer centre-américain. Un enfer à ciel ouvert dans lequel des milliers de citoyens, urbains et ruraux, mais surtout pauvres, périssent atrocement tous les jours. Victimes de la violence policière et militaire, de la corruption politique, de la guerre entre gangs narco-trafiquants…

PAR FRANCISCO CRUZ

IMMERSION AU CŒUR DE L’ENFER

Dans cette région du monde à la nature luxuriante, qui s’étend entre la Colombie et les Etats-Unis – jadis transformée en terrain de culture fruitière intensive au profit de grands consortiums agro-alimentaires étasuniens -, la mort dans sa version la plus criminelle règne. L’Amérique Centrale est devenue une scène mortifère secouée par des guerres civiles et une dégénérescence sociale mesurable à tous les niveaux, comme seul héritage aux mouvements libérateurs et autres révolutions avortées. Et Le Salvador l’un des pays les plus caractéristiques de cette pente historique dramatique.

Il y a quarante ans, le salsero panaméen Rubén Blades rendait hommage à Oscar Arnulfo Romero, archevêque de San Salvador, assassiné en pleine messe dominicale par un commando de paramilitaires mandaté par le gouvernement, qui détestait son attitude solidaire et libertaire. Des néo-fascistes manipulés depuis le Pentagone et la CIA. Dans toute l’Amérique Latine on dansait pour ne pas oublier, la salsa «El Padre Antonio Y Su Monaguillo Andrés» (issu du chef d’oeuvre Buscando America). Mais personne, même parmi les plus pessimistes, n’osait prédire un futur si noir et si brutal comme celui décrit par Oscar Martinez dans cet ouvrage urgent et nécessaire.

L’auteur – journaliste lui aussi -, écrit à la première personne dans une position de témoin direct et actif d’une courageuse entreprise, révélatrice de certains crimes les plus odieux que l’on puisse (très difficilement) imaginer. Et dont sont victimes les populations civiles, notamment les plus humbles du pays. A commencer par ces paysans salvadoriens coincés entre deux feux et broyés par l’entreprise des escadrons de la mort, policiers et gangs (pandillas) de délinquants au service des trafiquants de drogue. Des paysans jeunes, adolescents, décapités, écartelés, amputés, démembrés, carbonisés… L’horreur absolue.

Les Morts… est une contreplongée dans le vide infini du non-sens, de la déshumanisation, et une réflexion sans concession sur le rôle du journaliste face à une telle inhumanité. Une remise en cause, sans réponse définitive, mais, aux antipodes de ces journalistes parisiens – des chaînes de TV de la « désinformation » – qui servent la soupe au pouvoir et se fondent dans de complaisants publireportages à coté de policiers qui chargent et frappent des manifestants pacifiques… 

On peut aussi lire ces pages comme un énième avertissement à valeur universelle : le cas salvadorien risque -si on ne prend garde à la pente autoritaire et illibérale prise par de nombreux pays de tous les continents-, quand l’injustice, fondée sur l’extrême opposition entre une infime minorité de nantis et une immense masse de citoyens exploités, plongés dans des conditions  misérables (sur le plan économique, démocratique, environnemental), transforme la société en impitoyable champ de bataille pour notre simple survie quotidienne.

OSCAR MARTINEZ

Les Morts Et Le Journaliste

Editions Métailié, 241 pages, 20€50

 

 

 

 

(Rubén Blades, Buscando América, Elektra 1983)