Fin décrypteur-analyste de la société cubaine, l’écrivain le plus prolifique de la littérature insulaire contemporaine, nous fait découvrir avec un humour – ironique ou sarcastique -, et parfois avec tendresse, les méfaits et les absurdités, les contradictions et les frustrations de la vie sociale havanaise…
PAR FRANCISCO CRUZ
A travers la voix et les agissements du policier Mario Conde (reconverti dans le commerce de livres anciens), on débuta le nouveau millénaire en découvrant le côté sombre de la réalité urbaine de Cuba durant la «période spéciale», quand l’implosion de l’Union Soviétique laissa sans soutien international un pays étranglé par l’embargo commercial le plus criminel décrété par les Etats-Unis, à l’aurore de la Révolution.
Avec ce nouvel, et très généreux roman, Leonardo Padura passe en revue les avatars de la diaspora cubaine, incarnée par un groupe d’anciens amis (et leurs enfants) éparpillés entre l’Europe et l’Amérique – depuis une nuit fatale de l’ hiver 1990, quand l’un des amis du clan havanais sauta depuis un dix-huitième étage et s’écrasa sur la rue – et jusqu’à quelques jours précédant la plus mensongère pandémie de l’histoire. C’était après l’exode du port de Mariel et le début de la triste procession aquatique des balseros.
Désormais, par les voix de deux personnages – Horacio et Irving -, l’écrivain cubain nous raconte : «Indépendantistes et autonomistes, régionalistes, pro-yankees et anti-impérialistes, communistes et anti communistes, tous cubains. Se haïssant les uns les autres, depuis le début et jusqu’à l’éternité » […] «Depuis fin 2014, il avait souligné les espoirs que pouvait générer la visite du président Obama à Cuba… (qui) avait cité Marti, offert une rose blanche et avait admis que les problèmes de Cuba étaient l’affaire des Cubains. Comme c’était prévisible, Horacio avait été qualifié aussi bien de communiste que d’annexionniste, d’infiltré castriste que d’agent de la CIA, de naïf que de fils de pute… Mais, il avait refusé de se taire.»
Leonardo Padura ne se tait pas non plus, loin s’en faut. Et c’est bien ainsi. Il nous fait resurgir du fond de la mémoire les versets de Silvio Rodriguez «…considérant l’implacable que doit être la vérité, que peut-on dire ? Quelles frontières doit-on respecter? …». Sans tomber dans le mensonge ni l’auto censure complice.
Articulant son récit à l’aide de références musicales et poétiques – le groupe de rock Kansas chantait «Dust In The Wind» en 1977, la chanteuse espagnole Ana Belen, entre deux accords disait «Je sais que plusieurs blessés attendent un signal…», la peintre et ethnologue cubaine Natalia Bolivar, auteure de Les Orishas à Cuba, le Beatle Paul McCartney qui, avant «Yesterday» chantait aussi «…tour gonna carry that weight […] … a long time »-, ainsi que le chanteur espagnol Joaquin Sabina qui en 1999 publia «19 dias et 500 noches » -, l’écrivain cubain fait le tour clinique des blessures collectives et singulières de son peuple. Le diagnostic est sévère, le virus est probablement incurable, mais la thérapie est puissante comme l’espoir : la solidarité peut prendre le dessus de l’ignominie et la destruction d’autrui.
Face à l’enfer promis par les promoteurs de l’Intelligence Artificielle, on peut dire avec Padura que (nous) pouvons encore aspirer au bonheur au milieu de tous les désastres, des privations, et même des trahisons et des abandons…
LEONARDO PADURA
Poussière Dans Le Vent
Editions Métailié, 630 pages, 24,20 euros