LAURA ULONATI > « J’ETAIS ROI A JERUSALEM »

Écrit sous le choc provoqué par l’opération héliportée d’enlèvement de dizaines d’hommes et de femmes juifs, et de centaines de tués, perpétrée par l’organisation palestinienne Hamas en 2023, ce roman de l’écrivaine italienne est une apologie de la concorde des hommes dans la cohabitation et la transmission des cultures. Elle ne prévoyait pas, comme d’autres, que la suite serait le génocide de palestiniens dans la bande de Gaza…sous les bombes de l’armée israélienne.

PAR CLAUDE DELEUZE

UN OUD HARMONIQUE A JERUSALEM

Laura Ulonati mène son récit par la voix d’un musicien bohème et insouciant, Wasit Jawhariyyeh (ayant vraiment vécu de 1897 à 1972). Ressuscité littérairement comme un personnage attachant qu’incarne un arabe ami de chrétiens et de juifs dans un Jérusalem réel au passé mais, malheureusement, révolu et détruit par la haine et le fanatisme religieux. Au travers des déambulations nonchalantes du musicien, l’auteure fait de cette ville, autrefois belle et accueillante, une sorte d’Andalousie de temps modernes, où ont cohabité musulmans, chrétiens et juifs, dans une harmonie qu’aujourd’hui ressemble plus à un mythe qu’à une réalité possible ou factuelle.

De même que nos contemporains tunisiens Anouar Brahem et Dhafer Youssef, le libanais Rabih Abou Khalil ou la palestinienne Kamilya Jubran, le musicien de cette belle histoire joue du oud, et se débrouille plutôt bien dans ces cordes. L’oud, dans ces pages, n’est pas seulement un instrument de musique, il est un révélateur de l’âme. Un archéologue de l’esprit, un conteur de l’amour. Selon Jawhariyyeh, l’oudiste imaginé par Ulonati, «…(le oud) représente l’exilé au pouvoir limité, mais à la tête dure. L’oud peut dire toute la vie, les jours heureux ou douloureux, la mélancolie…Sa mélopée atténue la solitude comme le bruit.(…) le son de l’oud fait revivre la voix de Jérusalem. »

Comme une urbaniste d’avant l’intelligence artificielle, Laura Ulonati (aussi professeure de géographie en France) réalise une reconstruction de l’ancienne Jérusalem par l’entremise de la mutation des quartiers, des zones habitées, des rues et de places, où la mémoire de l’oudiste restitue les séquences d’une fascinante mais irrévocable histoire. Autrefois, avant de la scission de la Palestine et la création de l’état d’Israel, les gens se reconnaissaient, portaient une identité, partageaient un espace de vie. Aujourd’hui, après l’expulsion des arabes et l’expansion abusive des colonies juives, les habitants de Jérusalem ont perdu leurs repères, leur identité, la poésie de leur langue, le sens de la vie.

Jérusalem a été détruite, dans son architecture et, pire, dans son esprit de ville-monde. Et Wasit qui nous rappelle comment, dans les camps de réfugiés, les enfants palestiniens déplacés de force évoquent un ailleurs aimable et leur mémoire traumatisée se rappelle vaguement de leur origine, liée à la ville de Jérusalem. L’oud y joue une note triste, à la bande de Gaza ses notes pleurent. Les mots de Wasit peuvent réinventer le soleil, l’amitié et même l’amour, mais le sourire reste doux-amère. En 2023 des dizaines de juifs furent les otages du Hamas; certains ont été libérés par la suite mais d’autres ne seront jamais plus revenus parmi auprès de leurs. En 2025, on décompte par milliers les palestiniens tués par l’armée israélienne. La situation reste insupportable par son inhumanité, et si Wasit vivait il ne serait pas roi et jouerait la plus triste des litanies funéraires.

LAURA ULONATI
J’étais roi à Jérusalem
Editions Actes Sud, 304 pages, 22€