FAUX BUZZ, VRAI BLUES
PAR ROMAIN GROSMAN
La soirée dédiée à « La Nouvelle Vague Anglaise » a accouché d’un vrai flop. Le lendemain, retour aux valeurs sures, au bon vieux blues.. Le buzz autour de la nouvelle génération du jazz londonien avait attiré un public jeune. La trompettiste Emma Jean Thackray, en ouverture de soirée, le 8 septembre dans la Grande Halle, a plutôt de bonnes influences du côté de Lonnie Liston Smith, de Roy Ayers. Ses thèmes nappés de variations légères, sur un groove planant, n’ont pourtant ni la mystique, ni la lancinance sexy des compositions de ses devanciers. Le public aimerait décoller, mais le vaisseau reste scotché au sol.
Puis vient Kamaal Williams. Sur un tempo plus affirmé que sa compatriote, le clavier et leader – dont l’album The Return pouvait laisser présager une incarnation en live -, lance des tourneries qu’il fait évoluer avec ses comparses et notamment son saxophoniste Marquinn Mason. Le groupe s’applique à nourrir chaque séquence, mais l’auditoire, qui ne demande qu’à se lâcher, se sent peu à peu exclu. Dans la foule debout, alors que depuis dix bonnes minutes la musique tourne à vide, une spectatrice papote avec sa copine : « Et ta mère, elle va bien ? ». Vingt minutes plus tard, ça continue de jouer en rond sur scène, mais aucune interaction ni feeling ne s’installe. La conversation rebondit entre les deux jeunes femmes : « Ma coloc’ est sympa, mais elle passe son temps à mater des séries dans le canap’… » En proie à des problèmes de son depuis le début du set, Kamaal Williams bondit furibard de son tabouret pour se ruer vers les techniciens, les injurier copieusement, intimer l’ordre à ses comparses de quitter la scène. Le public planté, interloqué, reste sans voix ni réaction, hormis quelques sifflets. Comme si tout cela n’avait plus d’importance…
On se demande juste à quel point l’absence d’exigence (?), de références (?), de culture (?), ou les trois à la fois, permet de déclencher un buzz sur si peu de création et d’émotion.
Surtout quand, par contraste, le lendemain à la Cité de la musique, après une première partie généreuse de l’organiste Bobby Sparks et du saxophoniste Fabrice Alleman, dans un hommage vigoureux à Jimmy Smith et Stanley Turrentine, Houston Person, 85 ans au compteur, vient faire la leçon aux jeunots, avec tout ce qu’il faut dans son sax ténor de délicatesse, de soul, de larmes et de malice, sur des balades à pleurer, des compos de Benny Carter ou des standards populaires comme « Sunny » de Bobby Hebb. Chaque note ici est sculptée, gorgée de soul, et le soliste – superbement secondé par Pater Bernstein (guitare), Willie Jones III (batterie) et Ben Patterson (Hammond) -, peut suspendre le temps en cette après-midi de septembre. Old school, dépassé, révolu ? Plutôt résistant. A la médiocrité ambiante, à la fausse urgence, et à l’inconsistance d’une expression qui – Duke Ellington et Wynton Marsalis avaient raison -, perd sa sève lorsqu’elle oublie ses racines.