BALOJI

MULTIPOLAIRE

Le chanteur et rappeur brasse ses racines, ses influences, dans une expression légère et profonde à la fois, incisive et flamboyante.

PAR ROMAIN GROSMAN

Pour ce nouveau projet, vous avez écrit les textes, les musiques, et même réalisé un court-métrage Kaniama Show, parodie des télévisions africaines d’état.

Lors de la sortie de mon précédent album en 2010, mon label d’alors ne m’avait pas soutenu, alors je m’y étais mis moi-même, sans beaucoup de budget. J’avais réalisé cinq-six vidéos, et là j’ai carrément fait un court-métrage. L’image vient illustrer mon propos, les thématiques de l’album.

Il y est beaucoup question de dualité. D’abord entre votre identité de citoyen européen et vos racines africaines. Cela passe par la musique où se croisent et se percutent rap et rythmes congolais, mais aussi par la langue quand le swahili succède au français…

Ce n’est pas conflictuel. Il faut accepter l’idée que nous sommes multiple. Même si la société nous résume à quelque chose de très binaire. On est le fruit d’influences et d’inspirations très différentes, contradictoires au départ, mais des contradictions que l’on peut choisir de dépasser. Parce que c’est enrichissant. Je suis le produit de deux cultures, mais j’ai aussi été exposé à plein d’autres sources. Je suis congolais, mais j’ai un passeport belge, car le Congo n’admet pas la bi-nationalité. J’ai grandi en Belgique, mais dans la partie flamande, où on ne parle pas français. J’ai évolué dans un milieu où les garçons de mon âge écoutaient surtout des musiques électroniques et du rock. Je n’ai pas fait d’études, je viens du hip hop, une école spontanée, et je travaille avec des musiciens qui ont grandi dans la rumba congolaise, ont joué avec Franco, Tabu Ley Rochereau, et ont cinquante ans de métier. Et on arrive malgré tout à se rencontrer, à échanger. C’est ce qui me semble amusant, ce mélange des genres et des gens.

Ce n’est pas venu tout de suite, vous avez commencé par le hip hop.

Oui, il y avait un côté ludique et accessible. C’est pour ça que tant de jeunes se lancent. On peut s’exprimer, se raconter.

La scène belge est d’ailleurs de plus en plus riche.

C’est un peu l’effet collatéral du succès de Stromae, de l’équipe nationale de football belge, de l’éclosion de Damso. On aborde le rap de façon plus décomplexé. On assume nos influences américaines, mais on a notre propre langage. Et surtout, on sent une vraie dynamique créative.

Vous vous connaissez ?

Pas vraiment, je suis assez éloigné de cette scène, mais je les écoute.

Eux vous connaissent, vous êtes même une référence. Il y a un trait commun, c’est la sincérité et la richesse de l’expression à travers des textes autobiographiques ou engagés.

J’ai beaucoup écouté de chanson française, à partir de l’âge de quatorze-quinze ans. Des grands paroliers, Brel, Brassens, Gainsbourg, en passant par Souchon, Cabrel. L’art de jouer avec les mots, les images, les sons, m’a séduit.

La question des migrants nourrit certains titres.

Il y a un discours plein de mauvaise foi, de clientélisme : la plupart des gens qui traversent la méditerranée sont issus des classes moyennes ou aisées. Ce sont des ingénieurs, des mathématiciens, des chercheurs qui sont ici traités comme des animaux, parqués… Quand les Allemands engagent des cerveaux, pour les besoins de leur économie, on parle de geste de récupération. C’est juste une preuve d’intelligence. Dans l’histoire, les immigrations de travailleurs italiens ou espagnols ont été bien plus importantes.

Votre père est venu en Belgique pour des raisons économiques ?

Oui, pour chercher du travail. Il y avait le lien du Congo avec la Belgique, il s’est retrouvé à Ostende.

La ville d’accueil de Marvin Gaye…

Oui, j’ai découvert l’histoire de son exil et comme j’étais fan, j’ai repris un de ses titres, « I’m Going Home » qui abordait l’idée du retour, une situation que j’ai vécue lorsque je suis allé au Congo, à la découverte de ma culture.

A laquelle vous aviez été exposé enfant ?

Oui, mon père écoutait Tabu Ley Rochereau à la maison, parlait swahili. J’ai découvert mes racines en plusieurs phases. Dans le disque, je m’assume en tant que « Congolais d’outre-mer ». C’est devenu un ancrage familial, artistique, culturel.

« Ensemble (Wesh) » évoque la solidarité de la société africaine.

Oui, l’organisation de la vie de la cité est plus horizontale. Et moi là-bas, je suis un éternel artiste en développement… Donc pas rattrapé par la notoriété.

« Kongolois » aborde votre culture double.

En Belgique comme en France, le terme gaulois a pris cette connotation identitaire. On veut insinuer l’idée d’une forme de racisme à rebours, je crois quand même que la société est d’abord structurée d’une certaine manière, avec des codes, des hiérarchies qui vont clairement dans le même sens…

Vous aimez les formules, les punchlines, vous parlez de « Noir du Futur », pour paraphraser « l’Arabe du Futur » de Ryad Sattouf.

Que j’aime beaucoup son travail. C’est plein d’ironie. Ça fait aussi écho à « L’homme africain n’est pas entré dans l’histoire », le discours de Sarkozy… J’aime manier les références. Dans « Bipolaire », je cite aussi Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer – le bouquin formidable de Danny Laferrière -, pour parler de mon vécu avec le label Universal, des velléités de monsieur Bolloré en Afrique.

Cette plume acérée n’empêche pas des thèmes dansants qui mêlent électro et rythmes africains comme sur « Spotlight », « Soleil de Volt », « Glossine ».

Je l’ai toujours fait. La musique, c’est aussi un mouvement naturel. Des sons qui se créent, se mélangent. Sans se poser de question. Quand je suis en live, il y a quatre musiciens, deux sénégalais, deux congolais. On se connait depuis six ans. C’est une musique trop noire pour les Blancs, trop blanche pour les Noirs. Je ne veux renoncer ni à mon africanité, ni à ce que j’aime de la chanson en Europe, du hip hop en Amérique, de la pop, du rock…

Un dernier mot : vous êtes fan de foot, l’équipe nationale belge n’a jamais semblé aussi forte ?

On se voit trop haut, trop tôt. Et ça fait dix ans. Ils jouent dans des grands clubs, il manque un truc. Ils ont un peu le boulard non ? Tu rentres dans un supermarché, il y a cinq pubs avec les « Diables Rouges ». Ils n’ont pourtant encore rien gagné non ?

BALOJI

137 Avenue Kaniama

(PIAS)

Le  3 juillet À PARIS (CABARET SAUVAGE), LE 6 à Belfort (Les Eurockéennes)