Quatre-vingt printemps dépassés (il est né le 19 février 1940), l’éternel jeune homme au regard ciel, à la voix céleste, est aujourd’hui une icône de la musique afro-américaine. Celui que Bob Dylan avait qualifié de « plus grand poète de la chanson en activité » – une citation remise en doute depuis, mais qui lui va bien -, longtemps réduit à son rôle (pas mince) de figure clé du label Motown et de pourvoyeur de hits pour les autres (« My Girl » et « Get Ready » des Temptations, « Ain’t That Peculiar » de Marvin Gaye, c’était lui) est enfin reconnu pour ses qualités d’interprète. Cette session de classiques vient saluer l’éternelle élégance de ce roi de la ballade, inventeur du style « Quiet Storm » suite à la parution d’un album éponyme en 1975.
PAR ROMAIN GROSMAN
Autant le dire d’emblée, cet enregistrement ne restera pas dans les mémoires. La carrière de Smokey Robinson et sa discographie n’avaient pas besoin de cette collection de reprises plombées par une production poussive et sans nuances ni relief. Il s’agissait sans doute davantage pour les initiateurs du projet d’une occasion de raviver l’indéfectible affection de toute une (voire plusieurs) génération pour ce personnage immense, à la voix délicate, au phrasé de crooner subtil, que d’une démarche artistique élaborée. Vu sa versatilité, son background, un grand orchestre et des arrangements jazz, ou un registre plus intimiste pour ce lover bercé au doo-wop : tout eut été mieux que cette soupe pop sans caractère qui le contraint même à surjouer (pourtant pas le genre de l’ex-leader des Miracles) sur un vibrato exagéré (« What A Wonderful World »)…
Il y a une vingtaine d’années, Smokey Robinson s’était produit à l’Olympia devant une salle à moitié vide : il avait même fallu déployer des efforts de promotion de dernière minute et offrir quantité d’invitations pour masquer une évidence : Smokey Robinson comptait alors parmi les grands oubliés de la soul. Ici en tous les cas. Sans se soucier de ce manque de considération, le natif de Detroit avait fait ce soir-là montre de toute sa classe, rappelant au passage le magnifique chanteur-charmeur trop souvent effacé derrière l’auteur. Ses héritiers ont eu beau reprendre ses hits (« Cruisin’ » par D’Angelo), s’inspirer de son style soyeux (Maxwell), on se souvint en cette occasion combien son feeling restait inégalable.
Un feeling que l’on retrouve ici et là, dans sa version du « Be Thankful For What You Got » de William DeVaughan, dans celles de « Lean On Me » de Bill Withers ou d’ « I’ll Take You There » des Staples.
En donnant cette impression d’incarner mieux que personne le plus pur style cool dans la musique afro-américaine.
SMOKEY ROBINSON
What The World Needs Now
Gaither Music Group
Et plus bas ses hériters :
D’ANGELO « Cruisin’ »
MAXWELL « Sumthin’ Sumthin’ »