Quatre leaders, compositeurs et instrumentistes virtuoses, dont deux duos qui ont connu la reconnaissance de la critique et du public. Quatre musiciens ouverts à (presque) toutes les aventures sonores avec pour seule prémisse la liberté créative. Avec en partage, une passion pour la beauté du son.
Ballaké Sissoko et Vincent Segal, Emile Parisien et Vincent Peirani, sont ici réunis pour la première fois dans un projet étincelant…
PAR FRANCISCO CRUZ
L’ESPERANCE IMPROVISÉE DES EGARÉS
Egarés, perdus, introuvables, ou bien errants sans direction ? Ces mots peuvent rapprocher ou éloigner de la musique et de ceux qui la créent. Si l’on regarde de près le parcours de Sissoko, Segal, Peirani et Parisien, force est de constater que du point de vue de l’art les quatre sont très loin de l’égarement. Alors, à qui se réfèrent-ils lorsqu’ils nomment ainsi leur album collégial ? Les Egarés, seraient-ce les autres, ou s’agit-il d’une introspection collective ? L’écoute approfondie de l’album ouvre quelques pistes.
Ce nouveau quartet sans leader échappe d’abord à toute classification générique et, à toute tentative de catégorisation commerciale. Dans une situation économiquement délétère, l’enjeu s’avère certes plus compliqué qu’auparavant, mais le succès annoncé des concerts à venir peut aujourd’hui venir (ré)compenser l’investissement artistique du quatuor.
Quatre leaders compositeurs ensemble, cela débouche parfois sur une expérience tendue, déséquilibrée et frustrante pour les protagonistes. Ce n’est pas le cas pour Les Egarés. Ici aucune lutte d’egos. La richesse mélodique et le chant africain donnent une dimension originelle au projet, comme si cette expérience fondamentale s’imposait dans une tacite reconnaissance (des trois musiciens français) à l’énorme travail artistique développé par Ballaké Sissoko durant un demi-siècle sur les scènes du monde entier.
L’empathie musicale cultivée depuis longtemps entre Vincent Segal et Ballaké Sissoko, le respect mutuel et la synchronie qui leur ont permis de porter plusieurs projets de haut niveau, ainsi que la complicité joyeuse du jeu improvisé entre Emile Parisien et Vincent Peirani, sont autant d’atouts qui donnent confiance et solidité aux recherches sonores du quartet, lors d’aventures imprévisibles, mais parfaitement maitrisées.
Dix thèmes se déploient comme autant de voyages dont l’itinéraire se dessine en chemin. L’art de ces musiques est inscrit dans le mouvement même de l’interaction, pas dans des formules abstraites de reproduction industrielle, ni dans la satisfaction d’algorithmes générateurs de likes.
En ce sens, les quatre musiciens pourraient se considérer comme « égarés », puisque étrangers aux injonctions d’un marché, d’une industrie, assistés ou programmés. Le plaisir du jeu prime, avant tout. Celui de ces «égarés» singuliers est fait de déambulations poétiques, d’ondulations mélodiques, de développements thématiques, de circonvallations rythmiques. Un festin de lyrisme et de polyrythmie, léger et puissant à la fois, parfumé aux épices transculturelles. Et dansant en son coeur, le long d’une plage nommée « Esperanza » (espoir), sur un rythme de cumbia et des évocations tropicales (un bijou hérité de Marc Perrone).
Une musique en forme d’espérance, comme contrepoint aux violences qui nous assaillent.
SISSOKO-SEGAL-PARISIEN-PEIRANI
Les Egarés
(NoFormat)