ROBERT GLASPER – « FUCK YO FEELINGS »

AU BOUT DE L’ENNUI

PAR ROMAIN GROSMAN

À force de dupliquer une esthétique monocorde et sans inspiration, le clavier tire ad vitam sur le fil des gimmicks qui ont fait son succès et provoquent aujourd’hui un ennui profond que le casting des invités ne dissipe même plus. 

Tourneries à l’infini, avec infimes variations, boucles invariantes et drumming minimaliste ou syncopes répétitives : l’écoute des dix-neuf plages de cette mixtape digitale synthétise l’assèchement créatif de toute une scène qui s’écoute jouer, cultive un entre-soi auto-satisfait (on évoque ici l’idée d’une mixtape impromptue autour d’une longue jam en studio…) sans se rendre compte du résultat. Une musique sans respiration, sans imagination, un groove atone, et un ensemble dépourvu de souffle. Le coup du casting, des featurings, dont la liste s’allonge dans les mêmes proportions que se contracte les idées qui infusent l’écriture (?) ne trompe plus personne. Même si les voix (sauf vocodérisées) insinuent le peu de personnalité, de chair, d’incarnation, contenues ici, le supposé mix de jazz, hip-hop et funk, déconnecté des ingrédients qui donnent leur âme à ces expressions, s’enlise sur place. Comme ailleurs, l’auditeur peut aussi refuser la paresse d’une époque, d’un déclin mortifère – sortir après cela une prod de funk ou même de fusion des seventies de nos discothèques s’avèrera du coup franchement réconfortant ou désespérant, c’est selon -, et se détourner des propositions balisées, même quand elles se drapent, comme ici, dans les apparences d’une fausse modernité branchée.

ROBERT GLASPER

Fuck Yo Feelings

(Loma Vista Recordings/Universal)

HIP HOP-JAZZ