Les deux premières décennies de ce siècle auront vu la multiplication des musiciens de jazz, très bien formés dans les conservatoires du monde. En France aussi, une nouvelle (et très prolifique) génération de jazzmen et jazzwomen a progressivement pris la relève des anciens piliers de la scène hexagonale. Mais aucune formation n’a atteint le niveau de Kartet qui est devenue la référence du nouveau jazz français au niveau international. Et, sans le prétendre, un modèle à suivre pour les jeunes. Voici le septième album de ce quartette incontournable.
PAR FRANCISCO CRUZ
CARRE MAGIQUE
Comme cela arrive ici et ailleurs, malgré la richesse de sa proposition musicale, Kartet n’a jamais été le groupe préféré des programmateurs festivaliers français. C’est un autre paradoxe mais, à différence de beaucoup de groupes mainstream et des chanteuses jazz-pop, le groupe est davantage estimé en Scandinavie ou au Canada, et a depuis sa création joué plus régulièrement en Norvège qu’en France. Cet obstacle n’a fait que motiver davantage la liberté stylistique de ce groupe de musiciens qui ne s’est jamais laissé influencer dans le choix de ses propres lignes directrices – bien qu’il soit sensible aux projets de Vijay Iyer, Steve Coleman, Marilyn Crispell ou Craig Taborn -. Sa musique ne suit aucune mode, n’adhère à aucune tendance, ne suit aucune école de pensée esthétique.
A l’inverse, membres ou leaders d’autres formations, le pianiste Benoit Delbecq, le saxophoniste Guillaume Orti et le bassiste Hubert Dupont, portent l’expérience de Kartet à l’extérieur, au fil de leurs propres aventures musicales personnelles, et reviennent riches de leurs échanges avec les musiciens de ces autres groupes – la participation de Delbecq au sein du groupe Caroline (dirigé par Sarah Murcia) en est la preuve la plus éclatante.
Silky Way n’est pas la synthèse de leur histoire commune, mais il réunit nombre d’éléments présents dans les précédents albums qui ont marqué l’évolution musicale du groupe. Des paradigmes de leur propre dynamique interne qui, loin de les enfermer dans un style, continuent à ouvrir de nouvelles portes sans pour autant diluer le son parfaitement reconnaissable de Kartet. Désormais, le quartette ne compte plus sur la pulsation et la polyrythmie des batteurs Steve Argüelles ou Chander Sardjoe. Derrière toms et cymbales apparaît ici Samuel Ber, qui ne « remplace » pas leurs homologues, mais propose une contribution rythmique véritablement différente. Du coup, le son circule avec une autre fluidité et, en apparence, la musique devient plus accessible que jadis. Toutefois, la densité harmonique et la complexité du drive sont toujours de mise. Par ces temps d’easy listening imposé par les plates-formes digitales, Kartet préserve encore et toujours une liberté créative particulièrement précieuse.
On peut entendre Silky Way comme une belle célébration du répit des attaques du pouvoir politique contre l’art.
KARTET
Silky Way
(PeeWee!)