JAVIER DE ISUSI – JOE ILLIDGE, HANNIBAL TABU, MEREDITH LAXTON – AIMEE DE JONGH – BORJA GONZÁLES – LORENZO MATTOTTI

SOUS LES ALBUMS, LA PLAGE

PAR CHRISTIAN LARRÈDE

Survol non exhaustif d’albums de bandes dessinées, et autres romans graphiques ou livres d’illustration, permettant de ne pas bronzer idiot.

A la fin du XIXème siècle, condamné pour homosexualité, alcoolique, ruiné, malade et exilé à Paris, l’Irlandais Oscar Wilde, auteur de Le Portrait de Dorian Gray, n’a plus que trois années à vivre. C’est cette lente déchéance que choisit de conter le Basque Javier De Isusi, à l’éclairage de La Divine comédie et ses neuf Cercles de l’Enfer de l’Italien Dante. Car ici, le dessinateur se transforme en détective : pourquoi Wilde se considérait-il comme sa plus brillante création ? Pourquoi a-t-il cessé d’écrire dès son arrivée en France ? Et l’entomologiste froid ne cache rien, sous les lavis sépia et le dessin minimaliste, des turpitudes de cette déchéance glauque, au cours desquelles Wilde, au sens littéral, se couvre de déjections. Album inconfortable, mais terriblement puissant.
Si la référence à Prince y est évidente, Minneapolis Capitale du Funk n’offre pas un portrait du pape du funk, mais bien d’un groupe de post-adolescents rêvant de marcher sur ses brisées. La leader du groupe Starchild, l’afro-américaine Theresa, mesure bien vite que, malgré l’appui de l’idole, tailler sa route dans une ville à domination blanche ne va pas lui être chose aisée, considérant la cohorte de bonnes âmes (les intérêts divergents, et la concurrence directe) prête à lui mettre des pieds de micro dans les roues. Servi par un graphisme onctueux, et des couleurs naturellement empourprées, un livre de jeunesse qui semble indiquer que les rêves, c’est bien, à condition d’en sortir. Ou pas.

Et soudain, la tempête de sable : la Hollandaise Aimée de Jongh, dessinatrice et scénariste, s’est rendue dans ses plaines du sud des États-Unis où, durant les années 30 (et avant leur exil vers la Californie), les paysans du Texas connaissent un véritable enfer de poussière, de misère, et, donc, de tempêtes de sable (ici rendues dans une sublime virtuosité). Elle positionne un reporter-photographe, néophyte et new-yorkais, dans cette tourmente, et rappelle ainsi l’évidence de la création : l’artiste se découvre lui-même en découvrant le monde, et on ne peut bien découvrir le monde qu’en en côtoyant ses acteurs. Puissant comme une assiettée d’haricots rouges aux piments, et déchirant comme un amour impossible : un livre indispensable.

Un découpage de cases baladeur, des couleurs suaves et sensuelles et des personnages sans expressions de visage, ni pieds : Nuit couleur larme croise assurément aux confins de l’étrange, et c’est au lecteur de se frayer un chemin dans une intrigue à tiroirs, où l’on évoque des disparitions mystérieuses, des jeunes filles pas si en fleurs que cela, et des sorcières déterminées. L’ensemble, aussi charmeur (servi par des aplats de couleurs très habiles, mais également de nombreuses scènes sans paroles) qu’énigmatique, laisse la part belle aux investigations intimes, et, il faut en convenir, à la perplexité. Borja González retrouve ici le minimalisme codé de son précédent et premier album (The Black Holes), et ne nous ménage pas, l’essentiel se situant dans les plus infimes des détails. Peut-être.

La promenade s’achève grâce à un magnifique livre d’images pour enfants pas sages. Après le marathon de L’invasion des ours en Sicile, remarquable film d’animation salué comme il se doit en 2019, Mattotti s’est offert la récréation d’un carnet de croquis, mettant différentes techniques (pastels, encre de Chine ou crayons gras) au service d’une inspiration poétique, et de pérégrinations partagées entre érotisme et fantasy (au sens anglo-saxon du terme). C’est à un jeu de l’oie mutin que le plus italien des Parisiens nous convie, l’amour des hommes et leurs rituels, et la Nature régissant l’ensemble (telle la péripétie de cette femme nue emportée dans les tourbillons d’une rivière), en un récit qui n’en est pas un, cerné par des châteaux comme autant de têtes de chapitre. Une maîtrise absolue du graphisme, un livre de recherches, une exultation de chaque croquis, et l’investigation de ce que l’auteur dénomme lui-même ses lignes fragiles : naturellement, un album indispensable.


JAVIER DE ISUSI
LA DIVINE COMÉDIE D’OSCAR WILDE
(Éditions Rackham-376 pages-29€)

 

 

 

 

 

JOE ILLIDGE, HANNIBAL TABU, MEREDITH LAXTON
MINNEAPOLIS : CAPITALE DU FUNK
(Les Humanoïdes Associés-128 pages-17,95€)

 

 

 

 

 

AIMEE DE JONGH
JOURS DE SABLE
(Éditions Dargaud-288 pages-29,99€)

 

 

 

 

 

BORJA GONZÁLES
NUIT COULEUR LARME
(Éditions Dargaud-216 pages-19,99€)

 

 

 

 

 

LORENZO MATTOTTI
RITES, RIVIÈRES, MONTAGNES ET CHÂTEAUX
(Éditions Actes Sud BD-128 pages-27 euros)