L’AFRIQUE ? ENCHANTÉ !
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
L’indépendance d’esprit et de création, les vibrations telluriques et les constants ponts jetés entre les musiques du continent africain et la fièvre du rock initial ou les ondoiements de l’electro : du Sahara au Congo, en passant par l’Afrique du Sud, périple électrique dans le continent africain d’aujourd’hui, et la musique planétaire de demain.
Ils ont surgi sur la scène mondiale en 2005, bien vite remixés par le gotha du genre, soucieux de célébrer les épousailles des polyrythmies et de l’électronique. Enregistré à Kinshasa et mixé à Bruxelles, le 4ème album de Kasai Allstars (15 musiciens pour ce collectif multiethnique congolais) offre un nouveau pas en avant vers l’autonomie créatrice de l’ensemble, avec un choix artistique affirmé (c’est le guitariste Mapero Mupemba qui produit), un travail sur les machines de studio, et l’apparition de nouveaux talents, telle la jeune vocaliste Bijou. Et si les synthétiseurs font ici leur révolution culturelle en nombre, c’est pour mieux rendre palpables la puissance de l’instrumentation traditionnelle, ou de ces guitares torturées que l’Occident ne s’autorise plus depuis des lustres. Comme parfois, le tout est supérieur à la somme de ses parties, en une synthèse parfaitement vibratoire.
Le Congo toujours, avec la troisième levée d’un Jupiter (un Ulysse, plutôt) ivre de pérégrinations, mais qui désormais le clame haut et fort : « Na Kozonga » (« je rentre chez moi »). S’appuyant sur une riche cosmogonie, le retour s’accompagnera naturellement de lyrisme, d’introspection, de symbolisme, voire de métaphysique, jusqu’à la glorification de la mort, en retour éternel. Ce fils de diplomate (il a grandi en Allemagne), presque sexagénaire, publie donc un album où il creuse le sillon de l’appariement entre ses racines subsahariennes et un funk groovy. Sans oublier un secouage frénétique du conformisme, avec l’invitation faite aux néo-orléanais du Preservation Hall Jazz Band, au Brésilien Rogé, et à Yarol Poupaud, ou, dans la chanson-titre, avec la citation du « Nighttrain » de l‘Allemand Hallo Bimmelbahn, en son temps repris par Boney M. Le tout sur des rythmes en cascade, un foisonnement où s’épanouissent la soul, la latinité, le rock et les racines africaines de tous les plaisirs.
Chantres auto-proclamés de l’afropunk, et rois de l’underground de Johannesburg, les Sud-Africains de BLK JKS se sentent tout aussi confortables dans un hommage à Hugh Masekela (son fils Selema participe à la gravure, et il est ici désormais suppléé au même pupitre par Tebogo Seiti) que dans une ouverture de scène pour le compte des Foo Fighters, dans une session les associant à des références internationales (ici Money Mark des Beastie Boys ou Vieux Farka Touré) que dans un enregistrement en compagnie de The Roots. Et le quatuor – après un remarquable premier album publié en 2009 (After Robots) – fait preuve depuis d’une belle pugnacité, qui leur permet de survivre à une première séparation, et au vol de tout leur matériel et archives, pour in fine mettre guitares et cuivres au service d’une inspiration panafricaine. Pour cette deuxième livraison, le groupe semble avoir intégré des préceptes élémentaires de rigueur, et l’usage de contrastes qui lui permet d’alterner pulsion et méditation, ballade déchirante ou tension électrique. Un indispensable ovni.
Peut-on voir le jour au mitan de zones désertiques du Niger, et se considérer comme formé à la pédagogie guitaristique d’Eddie Van Halen par des vidéos chipées sur la toile ? Midou Moctar répond crânement par l’affirmative, et nourrit son 6ème album, instillé par le bassiste et producteur américain Michael Coltun, de revendications clairement anticolonialistes (la chanson-titre) et féministes, prenant en planche d’appel un élan légitime sur ses racines Touaregs, pour mieux les enrichir de la pulsion binaire du rock. Moctar saisit donc la guitare assouf de la tradition, l’électrifie, et en fait jaillir des ruissellements étincelants, ceux de la révolte, et d’une passion qui l’inscrit en digne héritier de Tinariwen et Ali Farka Touré, sans omettre la frange âpre du reggae (Black Uhuru). Resserrée comme un poing revendicatif, Afrique Victime se nourrit de l’entrelacement des deux guitares (la rythmique tenue par Ahmoudou Madassane) et d’une section rythmique compacte, qui rapproche l’ensemble d’un power quartet farouche, et déterminé. Partiellement enregistré en tournée, l’album reflète la virtuosité de l’artiste, et sa pertinence. Et la volonté ici d’élaborer des lendemains qui chantent.
KASAI ALLSTARS
Black Ants Always Fly Together, One Bangle Makes No Sound
(Crammed Discs)
JUPITER & OKWESS
Na Kozonga
(Zamora)
BLK JKS
Abantu/Before Humans
(Glitterbeat/Modulor)
MDOU MOCTAR
Afrique Victime
(Matador)