BONJOUR TRISTESSE
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
La presse en génuflexion, le squat de toutes les ventes du monde libre, l’affirmation de la pérennité de son talent, et la parfaite adéquation de sa mélancolie en apesanteur à l’air du temps : septième album de Lana Del Rey, ou chronique d’un triomphe annoncé.
Même les distraits l’ont compris : à défaut du bottin, l’Américaine peut enregistrer un album de poèmes (Violent Bent Backwards Over The Grass) sans faire hurler de rire, ni même détourner son public d’aficionados. Plus rayonnant encore : elle sait parfaitement graver un refrain emblématique et hit planétaire (« Video Games », en 2011) ou un disque comme une déclaration d’indépendance (le sommet Norman Fucking Rockwell!, en 2019) sans vendre son âme aux diablotins du business. Mais, désormais, un country-club ripoliné de frais célèbre une artiste qui a su s’affranchir de certains tics d’écriture et d’interprétation, élevant le minimalisme à hauteur de l’un des Beaux-Arts, oubliant la soie des divas au bénéfice de l’acuité d’une Joni Mitchell (dont le « For Free » conclut ici un bouquet d’asphodèles, ou vénéneuses, ou immaculées, ou les deux), l’alacrité de Joan Baez ou la grâce d’une Stevie Nicks. On pourra considérer que ces chemtrails (traînées blanchâtres laissées par les avions dans le ciel) résument assez passablement l’art de Lana Del Rey, absente mais toujours présente, hypnotisante mais dissimulatrice. Ici, Elizabeth Woolridge Grant s’offre plus vulnérable, la plupart du temps soutenue par un simple piano et quelques cordes, et déroule tous ses rêves, durant une période absolument dépourvue d’onirisme.
LANA DEL REY
Chemtrails Over The Country Club
(Polydor)
POP