SAINT-ESPRIT GROGNON
PAR CHRISTIAN LARREDE
Loin du tumulte du monde (ou tout du moins s’en protégeant), le presque quinquagénaire Brad Mehldau, assurément l’un des pianistes majeurs de sa génération (en particulier dans les différentes incarnations de The Art Of Trio), s’est donc plongé dans une lecture assidue de la Bible (plus précisément de l’Ancien testament), attentif à la geste de l’Archange Gabriel, messager de Dieu, et personnage œcuménique que l’on retrouve jusque dans le Coran.
Lyriques et spirituelles, les pièces constituant Finding Gabriel s’apparentent à une suite orchestrale, dans laquelle se percutent electro, chœurs divins, cordes enflammées et trompette (Ambrose Akinmusire) du Jugement Dernier. Ainsi qu’un extrait, en français dans le texte, de La Mémoire Et La Mer de Léo Ferré. Sur trois partitions, Mehldau assument tous les pupitres, tapent sur des tambours, agrémente sa panoplie de claviers électroniques de nouvelles références analogiques, et s’essaie au chant, de ces vocalises sans paroles, retenues pour leur grain, leurs couleurs, et leur nuancier. Mais le reste du programme permet de retrouver quelques invités de marque : du batteur Mark Guiliana au vocaliste Kurt Elling, ainsi que son alter-ego féminin Becca Stevens, ils servent tous quelques préceptes du leader, attentifs aux résolutions dynamiques de sa musique, au rigorisme de certaines compositions et au caractère plus ouvert et libre de certaines autres, et à l’agencement des périodes d’apaisement et de tension. Emballé dans une étrange iconographie laissant figurer un Brad Mehldau en une manière de Saint-Esprit grognon, Finding Gabriel désarçonnera le fan hardcore. Mais, in fine, l’auditeur pourra aussi se laisser séduire par les obsessions d’un compositeur qui, couchées sur la partition, débouchent sur un nouveau et étrange territoire, où les certitudes vacillent.
BRAD MEHLDAU
Finding Gabriel
(Nonesuch/Wea)
JAZZ
4/5