ECM S’INVITE À LA PHILHARMONIE DE PARIS

ECM – Edition of Contemporary Music – a célébré son demi-siècle (2019) dans divers pays européens et à New York. On fête maintenant (c’est mieux tard que jamais) ses 55 ans à la Philharmonie de Paris. L’occasion de revenir sur l’histoire du label allemand qui a marqué de son empreinte la musique et l’industrie musicale contemporaine…

PAR FRANCISCO CRUZ

Fondée par Manfred Eicher en 1969, à Munich, ECM a transformé le panorama du jazz international. Il a suscité des ouvertures et inspiré de nouvelles relations entre le jazz européen et américain, le jazz et les musiques du monde, les musiques classiques et contemporaines, les musiques nouvelles et traditionnelles, la musique et le cinéma… Au rythme de rencontres inédites et au diapason des transformations des formes de reproduction sonore, ECM a créé une esthétique musicale. Nouvelle hier, définitivement autre désormais. Cinquante ans, des centaines d’artistes et plus de mille albums plus tard, et malgré la dématérialisation des œuvres et la rentabilité immédiate exigée par le marché global, l’aventure continue, pilotée par le producteur Manfred Eicher. 

CONTEMPORAINEITE ET POSTMODERNITE

Le choix des genres qui cohabitent sur ECM – jazz, musique baroque, new music, folk… -, a aussi été le résultat d’une succession d’accidents dans le temps. À la fin des sixties, Manfred Eicher contrebassiste classique, jouait également dans un groupe de jazz. Les couleurs, les ouvertures vers différentes musiques, les nouvelles directions, ont surtout été l’œuvre d’artistes qui ont marqué l’histoire du label. Ainsi Don Cherry fut celui qui, par exemple, inspira Jan Garbarek d’aller puiser dans le réservoir folk norvégien. Durant les années soixante-dix et quatre-vingt, l’intérêt pour la musique minimaliste américaine – John Cage, Philip Glass, Therry Riley – explique en partie les enregistrements de Steve Reich et de Meredith Monk pour ECM. Puis, en 1984, l’enregistrement des premières pièces d’Arvo Part, aura ouvert une nouvelle voie pour des musiciens qui se nourrissaient autant de musiques anciennes que d’expressions contemporaines. Pour ce qui est du baroque, c’est Keith Jarrett lui-même qui décida de réaliser ses enregistrements de J.S. Bach. Des projets pertinents, très documentés, ouvrant de nouvelles perspectives. La diversité est à la source de l’identité du label. Le jazz qui marqua ses débuts, fut vite rejoint au catalogue par des œuvres néo classiques.

LUMIERE ET ESPRIT NORDIQUES

Commencer par le jazz a probablement permis à ECM une ouverture plus naturelle vers d’autres musiques. Manfred Eicher a apporté au free jazz un certain attachement à la forme et à la rigueur et, à l’inverse, un peu de liberté et d’ouverture au classique. Les New Series sont la traduction de cette évolution du monde classique.

ECM fut aussi un label de world music d’avant-garde, d’une qualité rare, avec Codona, Oregon, Egberto Gismonti, Nana Vasconcelos, L.Shankar, Zakir Hussain… Don Cherry joua un rôle crucial dans le développement du label. Il parcourait le monde et avait toujours des sonorités et des idées nouvelles à proposer. Des musiciens comme Hussain ou Gismonti ont leurs propres labels, mais ils ont toujours portes ouvertes chez ECM.  Toutefois, malgré ses ouvertures sud-américaines, asiatiques ou méditerranéennes (Dino Saluzzi, Elina Duni, Savina Yannatou, Amina Alaoui, Trigan Mansurian, Kayhan Kalhor), ECM a gardé une identité fortement marquée par le Nord européen : un son, une atmosphère, une lumière – la musique comme substitut de la lumière du soleil -, très chers à Manfred Eicher. Une identité très importante durant la première période d’ECM, qui continue de nourrir la nouvelle génération des musiciens nordiques ayant rejoint le label (Eivind Aarset, Trygve Seim, Mathias Eick, Tord Gustafsen, Frode Haltli, Mette Henriette…)

Dans l’absence des jazzmen emblématiques du label, c’est le compositeur estonien Arvo Part qui est la figure la plus remarquable de l’événement ECM à Paris. Empreinte d’une spiritualité voisine du mysticisme, la musique minimaliste de Pärt – qu’il appelle « tintinnabuliste » -, présente en effet une remarquable transparence qui, dans le processus itératif de ses motifs, fait entrer l’auditeur dans un état d’envoutement contemplatif. Lequel, à l’instar d’autres musiques initiatiques orientales, se situe par-delà les fréquences et les coordonnées spatiales et temporelles propres à la musique européenne dite « néo-classique ».

Dans une sorte « d’éternité de l’instant », la musique du compositeur estonien ouvre les oreilles à une nouvelle dimension acoustique, grâce au traitement du matériau sous des formes et des tonalités vibratoires inédites et jusqu’alors inouïes. Tabula Rasa, c’était aussi une invitation à oublier les catégories académiques, l’idée de progression linaire dans l’évolution musicale, à penser la musique autrement, à jouer comme si après les siècles entre le baroque et la musique sérielle, d’autres évolutions sont toujours possibles. 

ECM Explorations

du 25 au 29 avril 2025 à la Philharmonie de Paris

Anouar Brahem les vendredi 25 et samedi 26 (Cité de la Musique)

Sebastian Rochford & Kit Downes dimanche 27 avril, 16h (Le Studio)

Shai Maestro Trio – Avishai Cohen Quartet (Grande Salle Pierre Boulez)

Arvo Pärt mardi 29 avril (Grande Salle Pierre Boulez)