Depuis trois mois, le monde artistique et les sphères culturelles s’agitent. Malgré la suspension des mesures liberticides du gouvernement, les programmes (de la plupart) des festivals sont cette année assez convenus et déceptifs et, à quelques exceptions près, sans véritable enjeu artistique. Hormis quelques anciennes gloires du jazz, les plus créatifs des musiciens étrangers resteront cet été en dehors des frontières françaises…
PAR FRANCISCO CRUZ
AUTOUR DES FESTIVALS
Comme des survivants au bord de l’asphyxie, musiciens, acteurs, danseurs… tous les protagonistes des arts de la scène sourient, célébrant la levée des restrictions et notamment du pass sanitaire pour les salles de spectacles et les festivals. Un répit dans le processus de violations des Droits Humains qui déchire le pays depuis deux ans, et dont la possible prolongation est tout sauf transparente…
Désormais les salles se remplissent d’un public en manque de culture, prêt à renouer un échange nécessaire avec les artistes. On se retrouve donc dans ce nouvel épisode de la crise sociale contemporaine avec ceux qui auront refusé d’emblée de se plier aux exigences abusives des autorités, ceux qui à des degrés divers ont fait obéissance au pouvoir, ceux qui ont découvert tardivement le piège de mesures restrictives problématiques…
L’art aurait permis l’alchimie d’une démocratie retrouvée? Loin s’en faut.
Quoi qu’il en soit… Il faudrait en effet une attitude massive de désobéissance civile, réinventer un monde résiliant, solidaire et libertaire pour sortir de cette sombre parenthèse. Il semble aussi nécessaire d’apprendre à renoncer (individuellement et collectivement) aux innombrables mécanismes de dépendance sociale (publicité, marketing, promotion, tourisme de masse, technologies de pointe…) qui nous piège dans une société aux règles biaisées.
Retrouver la liberté d’imaginer un monde sain et créatif, et agir dans ce sens, tel est aujourd’hui l’enjeu. Serons-nous capables de relever ce défi?
Caetano Veloso chante : « La vie sans utopie, je ne crois pas que cela existe…» Vingt ans plus tôt, il entonnait aussi : « Il y a quelque chose qui échappe à l’ordre, quelque chose en dehors du nouvel ordre mondial. Il y a la beauté, la paix, l’amour, l’espérance… » Et avant lui, Victor Jara faisait vibrer l’Amérique latine en interprétant : « Maintenant je veux vivre avec mon fils et mon frère, le printemps que nous construisons tous les jours… Je n’ai pas peur de vos menaces, patrons de la misère ! L’étoile de l’espérance va continuer à briller en nous… ». Avant de mourir sous la torture.
Les artistes seront-ils – comme dans d’autres moments de l’histoire – aux avant-postes de ce nécessaire mouvement de libération ?
Cet été, les rares festivals aux programmes artistiquement intéressants, et sous certains aspects, novateurs, exigeants, créatifs invitent :
Diego Amador, entre flamenco et jazz, le pianiste et guitariste andalou, porte le nouveau flamenco vers des harmonies improbables, s’affranchissant des influences aussi importantes que celle de Paco de Lucia ou Chick Corea. Il sera (en quartette) l’invité spécial du guitariste Juan Carmona, directeur du Festival Nuits Flamencas d’Aubagne (1er juillet).
Dom La Nena, Ana Carla Maza, Leyla McCalla, ou le violoncelle panaméricain en transgression des frontières culturelles, ouvert sur les modes et les paramètres musicaux du monde. Les violoncellistes (et chanteuses) aux origines brésilienne, cubaine et haïtienne, constituent la trilogie féminine la plus rafraîchissante, poétique et musicale de cet été. Dom La Nena sera à la Fiest’à Séte (1er août), Ana Carla Maza au Festival Paris Jazz (3 juillet) et au Festival La Tempora – Narbonne (5), au Festival Convivencia d’Ayguesvives (11), aux Sables d’Olonne – Vague de Jazz (15), à Souillac en Jazz (17), au Cosmo Jazz Festival – Chamonix (23), au Festival de Saint Paul de Vence (26)… Leyla McCalla sera absente de France (des dates sont prévues à l’automne) – et ce malgré un excellent nouvel album, où elle condamne la violence et la violation des droits humains qui, sous de nouvelles formes, redoublent actuellement sur la planète.
Iva Bittová, la violoniste tchèque la plus libre du jazz contemporain depuis trente ans, improvisatrice aussi lyrique qu’audacieuse, revient sur les montagnes pyrénéennes. Pour une carte blanche qui sera sans doute polychrome et polytonal (Luz, 14-15 juillet). Outre la tournée incontournable de Herbie Hancock, c’est à Luz Saint Sauveur que le jazz sera le plus proche de sa capacité à transformer le monde dans lequel les acteurs de l'(anti)culture veulent l’enfermer.
Hormis quelques anciennes gloires du jazz présentes sur les grands rendez-vous, les plus créatifs des musiciens étrangers resteront cet été éloignés des frontières françaises…