ESTELLE PERRAULT – « DARE THAT DREAM » – ORCHESTRE TOUT PUISSANT MARCEL DUCHAMP – « WE’RE OK, BUT WE’RE LOST ANYWAY »

Deux talents (hexagonaux, voire franco-suisses ou carrément multinationaux), dissemblables, mais soucieux de démontrer la vivacité et la pertinence du jazz d’ici.

PAR CHRISTIAN LARRÈDE

L’urinoir de Marcel l’iconoclaste, quelques à dada de Tristan Tzara, et comme une idée fixe du bassiste et compositeur genevois Vincent Bertholet, depuis la formation (2005) en mode coup de pied dans la fourmilière d’un mini big band à géométrie variable (de 6 à 18 membres), mais s’appuyant sur un propos univoque : touiller ensemble Kosmische Musik, révérence gardée à Eric Dolphy, salut amical à Albert Marcœur et Sun Ra, ou iridescence de la musique ghanéenne, et voir ce qu’il peut bien en sortir. C’est l’idéologie de l’OTPMD, et son esthétique dévastatrice et anticapitaliste, depuis désormais cinq albums : mêler mélancolie primesautière et rires voilés, s’abreuver aux sources du bop, et se nourrir de rythmes, harmonies, et sonorités excentriques le reste du temps. L’appellation en hommage aux ensembles africains (Orchestre Tout Puissant Konono N°. 1) définit parfaitement la cour de récréation de ces filles et garçons : le combat se mènera nécessairement dans une configuration hybride. Hautement recommandé.

Aux antipodes, mais nourrie de la même fièvre lumineuse, Estelle Perrault, native d’Enghien-les-Bains et portée sur les fonts baptismaux du jazz français par le pianiste guadeloupéen Alain Jean-Marie, délivre un deuxième album culotté. Car elle est chanteuse, et que le pupitre reste convoité par une noria de jeunes femmes tout aussi talentueuses les unes que les autres. Et parce qu’elle refuse à l’occasion de se nicher dans une ribambelle de reprises de standards. Deux plages échappent à la règle (le « Yesterdays » de Jerome Kern, et une partition de Michel Legrand en anglais dans le texte), mais le reste des sessions est alimenté par des partitions originales de la main d’Estelle Perrault. Autant de chemins empruntés avec grâce par la jeune femme à peine trentenaire, riche d’une sensibilité palpable et d’une technique sans faille. Et la présence à ses côtés du directeur artistique du projet et batteur Elie-Martin Charrière, du pianiste Carl-Henri Morisset ou, en guest et à cinq reprises, du trompette Hermon Mehari, décline toutes les apparences d’un (presque) coup d’essai comme d’un coup de maître.

ORCHESTRE TOUT PUISSANT MARCEL DUCHAMP
We’re Ok, But We’re Lost Anyway
(Les Disques Bongo Joe/L’Autre Distribution)

 

 

 

 

 

ESTELLE PERRAULT
Dare That Dream
(Art District MUSIC/Socadisc)