C’EST PAS DU BOULOT
PAR CHRISTIAN LARRÈDE
La lutte du pot de terre (un cadre supérieur, vaguement alcoolique et libidineux), et du pot de fer (le capitalisme libéral). A la fin, c’est le plus roué qui gagne.
Fabrice n’aime rien de plus qu’éreinter les fournisseurs, au bénéfice de l’entreprise dans laquelle il dirige le service des achats. A l’heure d’une promotion qu’il juge naturelle, il voit sa progression brutalement interrompue. Sa rancœur lui permet d’affronter, par le biais d’improbables alliances (en particulier avec le délégué Cgt de la boîte), une usine dans laquelle règne désormais le service E.H.S. (Environnement, Hygiène, Sécurité), antenne susceptible de vous apprendre à descendre un escalier sans vous casser la binette, et le sacrum. La lutte, impitoyable, ne sera pas frontale : vivent les alliances de circonstance, les escarmouches de la marge, et les coups de pouce du destin. On le sait depuis l’Antiquité, le travail est un instrument de torture, ce que finit par parfaitement saisir un collaborateur rebel with a cause (se venger). Sans fards (notre héros, après tout, n’aime rien tant que boire des coups – le J&B lui va bien au teint – en surfant sur des sites pornos), mais riche d’une bonne dose de cynisme et de cruauté, le scénariste Jacky Schwartzmann (auteur de polars, mais également cadre démissionnaire de General Electric) décline les péripéties de ce sabotage passif. Quant au dessinateur Morgan Navarro, après des galops d’essai au royaume de la bd leste, il élabore ici un graphisme linéaire en trichromie (bleu, blanc et noir) qui sert admirablement ce conte moderne, brutal et exemplaire, taillant des croupières à ces jeunes pousses sorties de Sup de Co.
MORGANNAVARRO/JACKY SCHWARTZMANN
Stop Work
Editions Dargaud, 136 pages, 18 euros