Il y a quarante ans, l’Amazonie était un sujet de discussion dans des cercles restreints d’intellectuels et d’artistes. Sa nature exubérante inspirait la recherche scientifique, mais aussi la créativité de poètes et musiciens, dont l’incomparable percussionniste Nana Vasconcelos. Soudain, elle s’est transformée en enjeu écologique planétaire, dont le chanteur anglais Sting est devenu un porte-parole surprenant par son engagement. Depuis, les avatars politiques et l’économie criminelle ont accouché d’un scénario cauchemardesque dont tout le monde parle, pour le meilleur et (surtout) pour le pire..
PAR FRANCISCO CRUZ PHOTOS SEBASTIAO SALGADO
L’AMAZONIE VUE DEPUIS LE BRESIL
Après la magnifique exposition présentée par le photographe Sebastiao Salgado à Paris (en 2021) qui révélait au grand public la beauté majestueuse de la jungle amazonienne, des dérives déprimantes (dont les médias se font parfois l’écho), se sont multipliées sous l’égide du gouvernement Bolzonaro et pendant la période de la manipulation sanitaire mondiale nommée Covid19.
Romancier reconnu au niveau international (décédé en août 2024), Marcio Souza a consacré toute son œuvre à l’espace et aux habitants amazoniens. Il en est a sa troisième publication en France, après L’Empereur d’Amazonie et Mad Maria.
Cette fois, point de récit romanesque : loin de la fiction, l’écrivain devient historiographe et propose une lecture différente du devenir amazonien depuis la période précolombienne jusqu’à aujourd’hui. Amazonie est ainsi tant une étude ethnologique qu’une recherche sociologique, ainsi qu’une réflexion sur le futur proche traduite par une écriture amène qui demeure loin des lourdes thèses universitaires. Il s’agit, toutefois, d’une recherche méticuleuse, soutenue par une bibliographie imposante de centaines d’ouvrages de disciplines diverses, issus des archives et des bibliothèques brésiliennes et étrangères.
Le point de vue de Souza, loin de toute complaisance, est une critique lucide de l’histoire amazonienne et de la politique du Brésil en tant que république indépendante. Avec lui, on découvre une autre face du Brésil, impossible à entrevoir par les seules portes de l’art. Si l’on était fascinés par l’approche sonore mimétique et polyphonique de Nana Vasconcelos, transportés par les chants en langues ancestrales recrées par Marlui Miranda, inspirés par les compositions postmodernes d’Egberto Gismonti, ou émus par la majestueuse œuvre photographique de Sebastiao Salgado, qui toutes mettent en relief l’extrême beauté de la jungle amazonienne, l’Amazonie de Marcio Souza nous fait atterrir de façon abrupte sur un terrain accidenté semé de troubles politiques, de violences inter ethniques, de mensonges mythologiques et de fausses idées véhiculées par diverses puissances politiques et économiques depuis des siècles.
Chez Souza, on retrouve une critique analogue à celle qui animait Gismonti face à la soudaine préoccupation européenne pour la préservation de l’Amazonie à la fin des années 80 du siècle passé. Si le musicien s’insurgeait du regard compatissant de ceux qui prônaient la préservation du poumon amazonien comme condition indispensable pour la sauvegarde de la vie planétaire, sans tenir compte de l’oppression économique mise en œuvre par le FMI et la Banque Mondiale pour asphyxier l’économie brésilienne, l’écrivain se moque des croyances faussement mystiques qui vénèrent les modes de vie des peuples dits primitifs de la jungle amazonienne, ignorant les processus de métissages, l’esclavage, l’acculturation et les génocides, pratiqués dans la vaste région amazonienne au nom du progrès capitaliste.
Le sujet est extrêmement complexe. Le processus de destruction de l’Amazonie n’est pas seulement l’œuvre d’une poignée de propriétaires fonciers aux procédés fascistes, avides de pouvoir, ni de quelques assassins habillés en aventuriers chercheurs d’or. C’est le résultat planifié depuis longtemps par des fonctionnaires de gouvernements brésiliens et étrangers autoproclamés démocratiques, au service de pouvoirs économiques transnationaux. Aujourd’hui, leur cynisme extrême les amène à détruire l’Amazonie au nom de l’écologie (!), en rasant les forêts pour planter du soja et d’autres végétaux transgéniques, utilisés comme combustible par des industries hautement polluantes et mortelles pour l’espèce humaine.
Processus dans lequel l’Amazonie a toujours été réduite à une région arriérée du monde, symbole d’une nature que l’on exploite jusqu’à l’épuisement, pour le plus grand malheur de ses habitants et du monde humain dans son ensemble.
MARCIO SOUZA
Amazonie
Editions Métailié, 465 pages, 25,50 euros