Un road-movie à travers les tortueux sentiers qui mènent de la misère à la richesse, sur les traces de deux dealers de la banlieue de Porto Alegre. Nous sommes au sud du Brésil, loin des cartes postales cariocas et des quartiers financiers paulistes. Mais en pays gaùcho, plus proches du candombe uruguayen que du samba-reggae bahianais, l’histoire se répète avec quelques nuances seulement. Racontée par un natif de la zone du trafic, avec une redoutable aisance narrative.
PAR FRANCISCO CRUZ PHOTO JOSEMAR
PULSIONS AUTODESTRUCTRICES
«Quand je regarde autour de moi et que je vois que tout est injustice (…) je me demande ce que je fais dans ce monde de merde. Il y a une majorité de gens qui trouvent qu’un monde vraiment juste n’est pas une bonne idée : qu’il doit y avoir des pauvres et des riches, que c’est ça les règles. Mais (…) j’accepte pas d’être la pauvre dans ce jeu à la con ! Je ne veux plus entendre parler d’éthique, de morale, de loi, de bien et de mal. Ce que je veux c’est être riche, je veux du fric à la pelle !».
Le raisonnement, d’une implacable logique, est partagé par une grande partie des jeunes des quartiers défavorisés du Brésil, de l’Amérique, du monde occidental, de la planète entière. Comment faire autrement si la seule valeur injectée dès l’école primaire, à la télévision, sur les réseaux sociaux, est celle de la possession illimitée de l’argent ? Pour acheter tout, du pain frais aux plus luxueuses voitures. Pour consommer tout, des nouvelles technologies de pointe, au sexe. Depuis un siècle, le système martèle aux jeunes que la seule possibilité d’être «heureux» est d’être riche. Peu importe les moyens.
Le problème ne se pose pas, bien évidemment, aux autres jeunes, ceux des quartiers aisés qui héritent leur position sociale des parents, de la famille, de la communauté des nantis. Ils n’ont pas de questions à se poser. Comment cet argent arrive dans leur cercle de privilégiés sociaux ? Combien a été payé l’oncle sénateur pour voter des lois anti-écologiques ? Combien papa médecin reçoit-il des laboratoires pharmaceutiques pour prescrire des médicaments nocifs ? Combien a été payé le cabinet du frère avocat pour réussir à blanchir les fonds d’un fabricant notoire d’armes de destruction massive ? Quel montant l’agence de la cousine bio-généticienne perçoit-elle pour la mise au point de virus potentiellement pandémiques que les pouvoirs manipulent ?
Avec une plume aussi incisive que ludique, comme un slam enfiévré du rappeur Criolo, l’ancien jeune des favelas (bidonvilles) gaùchas José Falero débarque dans le monde élégant des éditeurs parisiens. Pour vous rappeler qu’il est trop hypocrite de condamner autrui quand on fait partie intégrante et active d’un système social dans lequel les différences de classe atteignent désormais un niveau paroxystique. Quand les plus grands criminels se trouvent parmi les dirigeants les plus puissants des groupes financiers. Quand les industriels les mieux côtés en bourse sont les producteurs les plus polluants et toxiques de la planète. Quand la valeur argent n’est autre qu’une contre-valeur humaine, qui détruit systématiquement la nature et la vie de la planète toute entière.
Allez-vous continuer à soutenir (ou à ignorer) ceux qui brûlent l’Amazonie (avec ses habitants en victimes colatérales) ou ceux qui replantent des arbres dans les régions dévastées ? Allez-vous soutenir les consortiums industriels qui détruisent les terres en imposant des cultures transgéniques, ou bien les permaculteurs bio dynamiques qui respectent les cycles naturels ? Désormais, une autre dynamique, celle inhérente au progrès technologique, a largement dépassé la limite de la neutralité sanitaire. Notre système immunitaire est attaqué par des fréquences insensées de radioactivité électromagnétique et la destruction des écosystèmes est l’affaire la plus lucrative des puissances industrielles, qui comptent sur la complicité efficace des autorités politiques.
Alors, allons-nous continuer à courir après l’argent, à dilapider nos vies dans le superflu ? Si chacun est libre de choisir sa conduite, nos décisions ont des conséquences que nos enfants vont inévitablement (et gravement) subir. Comme les protagonistes de cette histoire (dealers de cannabis), chacun peut choisir de poursuivre ou d’arrêter cette course mortifère. Eux, avaient décidé de mettre fin à leur trafic avant que la mort (ou la police) ne les emporte…
«Pedro ne dénonça pas ses amis (…) il trouva la force de garder le silence, même persuadé que, pour cette raison, il finirait par mourir aux mains des policiers que l’arrêtèrent et torturèrent pendant des heures et des heures…»
Un récit pour ne pas oublier un paradoxe fondamental : l’espèce humaine est bien la seule en ce monde à pratiquer l’autodestruction.
JOSE FALERO
Supermarché
Editions Métailié, 336 pages, 22 €